La Révolution de la jeunesse. Ainsi désigne-t-on la Révolution tunisienne en raison du rôle essentiel joué par les jeunes dans les journées insurrectionnelles qui ont abouti au 14 janvier 2011. Quelques années après, qu’ont-ils récolté ? Les gouvernements successifs ont tous lamentablement échoué à rendre l’espoir à cette jeunesse, à avancer dans la résorption du chômage ou même à donner l’impression de lutter contre la misère et l’exclusion.
Les Tunisiens peuvent certes tirer orgueil d’une nouvelle constitution respectueuse des libertés et des droits de l’Homme… Ils peuvent être fiers du prix Nobel de la paix décerné au Quartet du Dialogue national qui a largement contribué à sauver le processus démocratique… Mais force est de constater que le pays est aujourd’hui engagé, par une Justice d’un autre âge, dans une voie à rebours de la construction démocratique, du respect des libertés et des droits élémentaires de la personne humaine… Que l’on en juge :
- Malgré les appels répétés émanant de partis politiques, de la société civile tunisienne ou des ONG internationales, le gouvernement, tournant le dos à certaines promesses électorales, continue à appliquer la loi 52 sur la consommation de cannabis. Trois jeunes créateurs viennent ainsi d’être condamnés à un an de prison et à une amende de mille dinars. Au préalable leurs domiciles ont fait l’objet de brutales descentes de police. Ils croupissent aujourd’hui dans des geôles d’ancien régime comme des milliers d’autres jeunes en vertu d’une loi scélérate conçue pour ruiner l’avenir de quiconque s’aventure à prendre une bouffée de « zatla ».
- Le 11 décembre, soit au lendemain de la Journée mondiale des droits de l’Homme, six autres jeunes gens ont été condamnés pour homosexualité à trois ans de prison et, tenez-vous bien, à 5 ans de bannissement de la ville de Kairouan. Et ce, en vertu du fameux article 230 du Code pénal. Quelques semaines auparavant, un étudiant de Sousse a été astreint à un test anal avant d’être emprisonné pour homosexualité. On croit rêver : telle est la Justice au pays de la Révolution et du prix Nobel de la paix !
Le CRLDHT réaffirme d’abord la nécessité d’abolir la loi 52-1992 qui ne peut en aucune manière contribuer à limiter la consommation de cannabis. Toutes les études démontrent le contraire, et la plus récente atteste que 54% des condamnés sont des récidivistes. Un débat national sur le sujet doit être ouvert afin de sortir du cycle infernal de la répression et envisager d’autres solutions qui mobilisent les notions de prévention, de pédagogie et de protection de la jeunesse.
De même pour l’article 230 du Code pénal qui constitue un scandale juridique et une violation permanente de l’intégrité de la personne. Faut-il rappeler que l’ONU considère l’orientation sexuelle comme un des droits de l’Homme et que notre pays est signataire des textes qui consacrent ce principe.
La surenchère judiciaire à laquelle on assiste participe d’une dérive réactionnaire dans le traitement des questions de société inspirée sans doute par une coalition conservatrice attaché à « l’ordre moral » et qui constitue le noyau dur de l’alliance au pouvoir.
Notre pays se trouve aujourd’hui face à un choix : continuer à recourir à des lois répressives éculées, à des lois d’ancien régime qui ne feront qu’alimenter l’indignation légitime qui gronde déjà ou se résoudre à faire évoluer notre droit dans un sens conforme aux lois internationales et à l’esprit et à la lettre de la Constitution… En un mot à revenir sur la voie de la construction démocratique.
Paris-Tunis : le 15 Décembre 2015
Contact : Messaoud Romdhani – 00 216 97 322 921 – mah.talbi@gmail.com
Mouhieddine Cherbib – 00 33 6 50 52 04 16 – cherbib@gmail.com