Déclaration de Casablanca sur « La démocratie, la paix et la résolution pacifique des conflits au Maghreb»
Les participant(e)s au forum thématique sur la « Démocratie, la paix et la résolution pacifique des conflits au Maghreb» qui s’est tenu à Casablanca les 29 et 30 septembre 2017, à l’initiative du FMAS (Maroc) et du FTDES (Tunisie) et qui a regroupé plus de 130 représentant(e)s d’associations de la société civile, réseaux, syndicats, chercheurs et académiciens, provenant de tous les pays du Maghreb, de Palestine, de France et de Belgique, se sont penchés sur les défis pour une intégration effective du Maghreb.
Les participant(e)s relèvent, avec inquiétude, que :
1. Le projet d’intégration maghrébine traverse une phase critique dans un contexte complexe marqué par de nouveaux bouleversements et orientations géopolitiques, et des recompositions territoriales, la verticalité des systèmes économiques et la logique de négociation bilatérale dans les accords avec d’autres blocs économiques régionaux (Euromed, Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est), le conflit armé en Libye, alimenté par les interventions étrangères…, aggravent l’émergence d’une solution du conflit au Sahara Occidental qui constitue un blocage majeur dans l’édification d’un Maghreb uni.
2. La crise politique perdure du fait d’une perte de légitimité populaire des États, la perte de confiance dans les processus électoraux et les instances élues de la part d’une jeunesse désabusée, au chômage, ne donnant aucun crédit aux promesses non tenues et acculée à des choix suicidaires.
3. La pression, la complaisance, la complicité, voire l’intervention militaire, de puissances étrangères, poussent les États du Maghreb vers l’option de politiques économiques et sociales antinomiques avec la justice sociale et les intérêts des plus démunis, contribuent fortement à l’exacerbation des conflits, aux tensions sociales et aux violences dans la région et compromettent toute issue d’une solution au conflit en Libye.
4. La militarisation de la région ne cesse d’être renforcée par les États au détriment des impératifs du développement et de la paix sans pour autant juguler l’insécurité.
5. La réponse des Etats à la demande incessante des peuples de la région pour l’ouverture des frontières a été d’ériger des murs et de renforcer des contrôles aux frontières, aggravant le drame des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants.
6. Les Etats, au lieu d’être à l’écoute de leurs populations qui aspirent à la liberté, à la dignité et à la justice sociale, optent pour des politiques et des approches sécuritaires, pour la violence d’État, pour la restriction des libertés et le contrôle violent des espaces publics.
Les participant(e)s notent avec satisfaction, la persévérance et l’acharnement de la société civile pour l’intégration maghrébine, comme ils (elles) rappellent que ce forum, qui est une cinquième étape parmi les activités programmées dans le cadre du projet: «Intégration
régionale: quelles alternatives populaires pour une intégration effective et durable du Maghreb?» s’inscrit dans la continuité et le renforcement du processus engagé depuis plus de dix ans au sein du Forum social Magrébin sur la question du conflit au Sahara Occidental où a été adoptée en 2008, l’’Initiative pour la Paix au Sahara occidental (IPSO).
Plusieurs étapes importantes se sont réalisées dans le cadre de cette initiative de la société civile, en 2010 (Bruxelles), 2011(Dakar), 2012 (Lyon), 2013 (Tunis) qui ont abouti à l’adoption de La charte du Maghreb des Peuples.
Pendant un jour et demi, les participant(e)s, conscients des risques et des défis, au termes de débats sereins et constructifs, malgré la sensibilité et la complexité des questions soulevées et la diversité des analyses, positionnements et référentiels des acteurs présent(e)s, appellent la société civile maghrébine, y compris dans sa dimension euro-méditerranéenne, à :
1. Renforcer et élargir les espaces d’échanges et de mobilisation afin d’identifier des pistes de solutions et de propositions pour la résolution pacifique des conflits dans la région à même de contribuer au développement démocratique et à la construction du Maghreb.
2. Lutter contre les approches et les velléités chauvines et ultra nationalistes, pour renforcer la construction d’une identité maghrébine multiple, diversifiée, inclusive, face à l’offensive des mouvements identitaires et des extrémismes religieux.
3. Développer, renforcer, élargir des plateformes communes et des mouvements de solidarité à l’échelle maghrébine autour de problèmes communs qui constituent le socle des valeurs de la société civile dans la région, à savoir la démocratie, la dignité, la liberté et la justice sociale.
4. Appuyer et adhérer à la bataille des femmes pour l’égalité, contre la violence. Cette lutte est la nôtre, elle est d’abord est avant tout une bataille pour un projet sociétal démocratique.
5. Relancer et élargir les adhésions aux campagnes conjointes sur l’ouverture des frontières, contre la militarisation, contre le racisme et pour le respect des droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, et dégager une stratégie conjointe de résistance et de lutte contre les politiques néolibérales des institutions européennes et internationales.
6. Lancer des campagnes conjointes tant au niveau national qu’au niveau du Maghreb de lutte contre la corruption et pour l’indépendance de la justice et renforcer les dynamiques des plateformes existantes tels que le réseau maghrébin de lutte contre la corruption et la dynamique des réseaux maghrébins des avocats.
7. Donner suite aux mobilisations engagées en avril 2016 à Casablanca qui ont abouti à la mise en place d’une plate forme maghrébine pour la justice climatique en articulant des synergies avec d’autres plateformes et des campagnes conjointes pour la protection de l’environnement et pour la justice climatique.
8. Renforcer le travail de proximité et de terrain, en privilégiant le réseautage et la culture du dialogue entre les acteurs de la société civile et les élu(e)s politiques, tout en identifiant des passerelles avec des entreprises économiques citoyennes qui ne cessent de batailler pour un marché commun maghrébin et qui sont freinées dans leur élan par les pouvoirs politiques en place.
9. Engager une réflexion conjointe et approfondie autour de phénomènes complexes tels que la radicalisation et l’extrémisme chez les jeunes pour faire un front démocratique contre la spirale meurtrière des fondamentalismes.
10. Promouvoir et privilégier la culture et les initiatives de la médiation dans la résolution des conflits. L’expérience du quartet tunisien qui a évité à la Tunisie de basculer vers la guerre civile, est à assimiler et développer à l’échelle de l’ensemble du Maghreb.
Les participant(e)s au séminaire, qui se déroule en pleine agitation du Rif marocain, sont solidaires et appuient la résistance des populations au Rif, à Tataouine, à Gherdaya et toutes les résistances à l’usure et aux violations des droits économiques et sociaux. Ils (elles) condamnent fermement les arrestations et les jugements des manifestants(e)s pacifiques et appellent les autorités marocaines à libérer les prisonniers et répondre aux revendications légitimes des populations. Comme ils (elles) appellent les mouvements sociaux à initier et à participer aux diverses formes de solidarité au niveau de l’ensemble du Maghreb pour exiger la liberté, la dignité et la justice sociale.
Nous sommes convaincus que l’Appel de Tanger de 1959 garde toute son actualité et que l’intégration régionale favoriserait la résolution des conflits, la production de richesses, d’emplois et d’investissements, mais elle ne garantit pas pour autant ni la démocratie ni la redistribution équitable des richesses, c’est pourquoi les questions de la démocratie, de l’État de droit et du respect des droits humains devront être au centre du modèle d’intégration régionale.
A Casablanca le 30 Septembre 2017