DÉCLARATION FINALE FORUM PARLEMENTAIRE MONDIAL
Nous, participantes et participants du Forum parlementaire mondial, réuni.es à Montréal, le 9 août 2016, dans le cadre du Forum social mondial, des élu.es de tous les continents représentant des formations politiques adhérant à la Charte de Porto Alegre, des représentantes et représentants des mouvements sociaux et des citoyennes et citoyens engagé.es, adoptons la déclaration suivante.
Nous dénonçons l’État canadien qui a interdit de séjour de nombreux participants et participantes du Forum social mondial engagé.es pour la paix, la démocratie, la justice sociale et l’environnement, parmi lesquels plusieurs parlementaires. Il y a 16 ans, à Porto Alegre, au Brésil, le Forum social mondial faisait converger, pour la première fois à l’échelle planétaire, les résistances au néolibéralisme et à la globalisation capitaliste. Depuis cette date, les forums sociaux locaux, régionaux et mondiaux débusquent les mensonges du néolibéralisme, rapportent la voix des luttes sociales et construisent des alternatives. Nous saluons les personnes engagées dans les mouvements sociaux, les organisations politiques progressistes et les collectifs locaux qui luttent sans relâche pour une société mondiale libre, égalitaire et écologiste. L’an 2000 fut aussi l’année de la première Marche mondiale des femmes, réalisée à l’initiative du mouvement des femmes du Québec. Nous tenons à souligner les objectifs, toujours actuels, de cette marche : mettre fin à la pauvreté et à la violence dont sont victimes les femmes. Dans notre lutte pour la justice sociale, nous favorisons l’égalité économique et la parité politique, autant dans nos organisations que dans la société. La souveraineté des peuples ne se fera pas sans la souveraineté des femmes sur leur corps et leur vie économique. Le mensonge de l’austérité et du néolibéralisme Malgré nos luttes et notre convergence, les gouvernements appliquent les recettes néolibérales en promettant les bienfaits du libre marché pour leur population. Les politiques du néolibéralisme accentuent l’enrichissement des grandes corporations et du 1 % le plus riche, au détriment de la majorité de la population, en particulier les femmes, les jeunes et les populations racisées. Le désengagement social touche principalement les services sociaux et communautaires assurés par le travail féminin, qu’il soit rémunéré ou non. Suite aux crises financières mondiales successives, les gouvernements ont renfloué avec de l’argent public les marchés financiers, responsables des déséquilibres économiques, tout en adoptant des mesures d’austérité sociale qui étouffent les populations et augmentent les inégalités. De plus, l’austérité nuit à la conversion écologique de l’économie ainsi qu’à la satisfaction des besoins essentiels de toute la population. Nous réitérons que la crise de la dette publique est un instrument de domination de la finance globalisée sur les peuples. Pour atteindre les exigences des créanciers internationaux, les États sont obligés de couper drastiquement dans les dépenses sociales, privatiser des sociétés publiques et d’entamer des réformes structurelles qui bénéficient aux classes dominantes et aux entreprises transnationales. Nous, participantes et participants du Forum parlementaire mondial, venons des pays anciennement colonisés et des pays du Nord floués par les institutions financières; nous demandons l’annulation des dettes souveraines insoutenables. Nous soutenons la lutte politique au niveau institutionnel pour le réajustement de dettes dans les pays du Sud européen. Pour financer adéquatement les services publics, il est urgent d’enrayer l’évasion fiscale des riches et des grandes sociétés. Pour ce faire, nous sommes en faveur d’institutions intergouvernementales qui puissent régir et sanctionner les pratiques fiscales frauduleuses. Les défis de la justice sociale, environnementale et climatique La conférence de Paris de 2015 a officialisé ce que le mouvement écologiste dit depuis longtemps : le défi climatique planétaire nécessite de s’engager dès maintenant sur la voie d’un changement radical. Or, ce changement ne pourra s’opérer qu’en dépassant le système capitaliste actuel. Les bouleversements climatiques causent déjà d’immenses dégâts, dont l’appauvrissement écologique de nombreux territoires et des catastrophes météorologiques à répétition. Ces dégâts affectent au premier chef les peuples autochtones et les pays les plus pauvres. Les pays développés ont une responsabilité historique dans les changements climatiques. Or, les classes dominantes, qui profitent des inégalités actuelles, contrôlent les États et les grands conglomérats économiques et n’ont aucun intérêt à changer le système économique et technologique. Nous croyons que les partis politiques progressistes s’allient aux mouvements sociaux à travers le monde pour proposer une alternative viable au système actuel et pour engager les peuples dans une transition énergétique juste et des stratégies d’efficacité énergétique abordables pour tous et toutes. Nous demandons de conclure et de mettre en œuvre des accords juridiquement contraignants sur le climat pour limiter la hausse de la température moyenne mondiale en deçà de 2 °C, avec un objectif de 1,5 °C. Les grands projets énergétiques ou miniers doivent être évalués selon l’objectif de transition énergétique, afin de sortir de l’économie du carbone et de la production d’énergie nucléaire, ainsi que l’obligation de protéger le patrimoine aquifère, agricole et culturel des populations locales et dans le respect de la souveraineté des peuples autochtones. Nous saluons la lutte contre la construction de l’oléoduc Énergie-Est au Canada, bataille menée par des autochtones, des communautés locales et des mouvements écologistes. Cet oléoduc s’inscrit dans une stratégie pour le développement pétrolier à l’encontre des objectifs de réduction des GES et de la protection de l’environnement. Des projets similaires peuvent être trouvés dans différents endroits de notre planète. Par conséquent, nous, parlementaires, militantes et militants de la gauche, syndicalistes, et représentantes et représentants de la société civile, avons uni nos forces et travaillé sur des stratégies concrètes pour instaurer la justice sociale et environnementale. Nous nous engageons à soutenir les initiatives des communautés pour enclencher la transition écologique et améliorer l’accès pour toutes les personnes à une alimentation suffisante, ainsi qu’à renfoncer les économies circulaires et régionales. Nous défendons la souveraineté alimentaire des peuples et faisons la promotion d’un modèle agricole soutenable basé les petites fermes, qui respecte la biodiversité et l’environnement. Nous demandons l’exclusion de l’agriculture du champ d’application de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Traités de libre-échange : vers des alternatives populaires L’un des principaux piliers du capitalisme néolibéral est l’établissement des traités de libre-échange entre les pays facilitant le commerce des biens et services, à travers l’abolition des tarifs douaniers, des règles sociales et environnementales, ainsi que l’élimination du soutien public à des industries nationales. Pour assurer le respect de ces traités de libre-échange, les États acceptent l’instauration de tribunaux supranationaux opaques. Ceux-ci ont le pouvoir de trancher les conflits opposant les gouvernements aux investisseurs et multinationales se prétendant lésés dans leurs intérêts commerciaux par des législations nationales. Ces tribunaux supranationaux peuvent exiger des États des sommes gigantesques en dédommagement et les empêcher de légiférer en faveur des droits sociaux et de l’environnement. Dans les faits, les traités de libre-échange exigent des États le renoncement à leur capacité à légiférer au bénéfice des populations et empêchent, par conséquent, l’exercice plein et entier de la souveraineté populaire. Ils sont un outil d’asservissement des peuples aux intérêts du capitalisme financier et conduisent à l’augmentation des inégalités sociales. Nous nous opposons à ces accords de libre-échange, et dans l’immédiat à l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, au Partenariat transpacifique (PTP), au Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), à l’Accord sur le commerce et les services (TiSA) et aux accords de libre-échange imposés aux pays en développement. Nous exigeons que la ratification de ces accords par les parlements nationaux ne puisse se faire sans un débat incluant la population des pays concernés. Les accords de libre-échange sont utilisés pour tenter d’inverser la hiérarchie des normes, et d’instaurer une suprématie inacceptable des droits commerciaux sur les droits humains et le bien-être des populations locales. Cela doit cesser : c’est une condition essentielle à l’atteinte de nos objectifs en matière d’équité, de justice, et de protection de l’environnement. Nous, militantes et militants des forces progressistes et des mouvements sociaux, exigeons la transparence des négociations commerciales. Nous nous opposons à ces accords de libre-échange qui lèsent les peuples et l’environnement, et nous travaillons à multiplier et à consolider les alternatives à ces politiques néolibérales. Nous proposons des traités qui soutiennent la solidarité entre les peuples et l’intégration des systèmes de protection sociale. Sur le plan des normes internationales, en exigeant la prééminence des droits humains, nous demandons que l’on avance dans l’adoption par les Nations Unies d’un traité obligatoire sur les entreprises et les droits humains et pour que soit appliqué pleinement le principe de la diligence raisonnable en ce qui concerne la responsabilité des entreprises transnationales. Les luttes communes pour la paix mondiale, la défense de la démocratie et les droits humains Les contradictions du système capitaliste et impérialiste mènent continuellement l’humanité au bord de la barbarie. Les expériences de l’Amérique latine pour mettre fin aux conflits armés sont aussi des avenues à envisager. Le processus de résolution du conflit colombien est dû au recours à une instance de médiation soucieuse de la question humanitaire, comme l’a été le gouvernement de Cuba. Malgré l’établissement de relations formelles entre Cuba et les États-Unis, nous dénonçons le maintien d’un blocus économique sur Cuba. La normalisation des relations implique la levée complète et rapide du blocus économique imposé par les États-Unis et la restitution du territoire de Guantanamo au peuple cubain. Nous dénonçons, par ailleurs, les efforts de déstabilisation des gouvernements progressistes démocratiquement élus. Le coup d’État au Brésil illustre la manière honteuse dont les oligarchies manipulent avec mensonges et propagande les institutions démocratiques pour le propre bénéfice. Devant les attaques impérialistes permanentes contre le gouvernement populaire de la République bolivarienne du Venezuela, doublées d’une campagne médiatique des grands médias internationaux qui dénaturent la réalité vénézuélienne, nous exprimons notre appui et solidarité à la Révolution bolivarienne, tout comme nous soutenons les institutions démocratiques comme expression de la souveraineté populaire. De même, nous manifestons notre rejet de toute forme d’ingérence dans les affaires internes du Venezuela et exigeons le respect du principe de libre autodétermination des peuples, tout comme le respect du droit souverain du peuple vénézuélien de disposer de son propre destin. Nous dénonçons également la campagne de sabotage économique, entreprise par les élites et l’impérialisme, qui frappe durement le peuple du Venezuela. Nous condamnons, du même souffle, les tentatives des secteurs les plus tenaces de la droite et de l’oligarchie à El Salvador, ainsi que les décrets antidémocratiques, adoptés par la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de Justice, qui visent à créer un climat d’instabilité politique, sociale et économique. Nous rejetons toute action interne ou externe visant à déstabiliser le gouvernement actuel et déclencher un « coup d’État ». L’avenir de la paix au Moyen-Orient, en Irak et en Syrie en particulier, passe avant tout par une paix juste négociée impliquant toutes les composantes de la société pour permettre une solution véritablement démocratique aux conflits armés et au problème que posent le groupe Daesh et ses alliés. Nous saluons la lutte héroïque au Rojava (Kurdistan occidental) et le combat des Kurdes pour leur libération, leur autodétermination et leur identité. Nous reconnaissons que l’expérience d’autonomie démocratique au Rojava peut être utilisée comme modèle pour résoudre de multiples conflits ethno-nationaux, religieux et sectaires au Moyen-Orient et au-delà. Nous dénonçons les politiques répressives du gouvernement turc contre les Kurdes, dont les député.es, maires et mairesses, politiciens et politiciennes, et activistes y sont systématiquement persécutés. L’État turc doit immédiatement mettre fin à ses politiques guerrières, renouer avec le processus de paix qu’il a suspendu, et s’engager vers un règlement démocratique avec le mouvement kurde. La résolution des conflits dans cette région passe obligatoirement par un règlement négocié visant la création d’un État palestinien viable, reconnu internationalement aux côtés de l’État d’Israël, tel que décidé par les Nations Unies, avec les frontières de 1968 et ayant Jérusalem-Est comme capitale de l’État palestinien. Nous appelons à la fin de l’occupation militaire israélienne de territoires arabes, le respect des droits fondamentaux des Palestiniennes et Palestiniens, incluant les 1,5 million de Palestiniennes et Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne, et le respect du droit de retour. Or, nous constatons qu’Israël refuse toute solution négociée, ce qui mène à une impasse dans ce conflit. La communauté internationale, autant gouvernementale que civile, doit donc faire pression sur Israël afin de l’emmener à négocier de bonne foi. D’autre part, nous sommes inquiets devant la criminalisation, dans certains pays dont le Canada, des campagnes internationales non violentes de soutien à la Palestine, en particulier la campagne « Boycottage, désinvestissement et sanctions » (BDS). Nous affirmons que la reconnaissance et la garantie des droits humains concernent toutes les personnes, sans égard à leur origine, leur identité et leur orientation sexuelle, de race ou de genre. Nous soutenons la lutte à l’homophobie et la transphobie, tout comme la création d’une Convention internationale sur la diversité sexuelle. Les vagues de personnes réfugiées et migrantes ont déferlé sur les pays du Nord à la suite des conflits au Moyen-Orient et en Afrique. L’Union européenne, les ÉtatsUnis et le Canada ont été jusqu’ici incapables de répondre adéquatement à la crise humanitaire. Sur la question de la migration, nous dénonçons la fortification frontalière en Europe, au détriment de notre devoir de protection des populations fuyant la guerre, et nous dénonçons la construction d’un mur à la frontière entre les ÉtatsUnis et le Mexique. Nous dénonçons la dérive sécuritaire qui ostracise des communautés entières en réponse à des actes terroristes commis par quelques individus. La protection des populations doit se faire dans le respect des droits fondamentaux et des garanties juridiques, sans quoi il fait le jeu des fondamentalistes. Nous offrons notre soutien aux luttes autochtones, particulièrement dans l’État canadien où nous nous réunissons, tout en reconnaissant l’oppression ininterrompue dont souffrent les premiers peuples depuis la conquête européenne. Nous croyons que la résolution de l’oppression des peuples autochtones se fera par leur autodétermination complète, obtenue par des négociations sous l’égide du principe de nation à nation. Nous, les forces progressistes et internationalistes ayant participé au Forum parlementaire mondial, réitérons encore une fois le droit des peuples à l’autodétermination, incluant l’indépendance s’ils en expriment le souhait démocratiquement. La reconnaissance des peuples à se gouverner est non seulement un droit fondamental, mais une solution aux nombreux conflits armés internationaux.