Elles sont une quinzaine de jeunes filles, âgées entre 15 et 18 ans, élèves à au lycée Abou el Kacem Chebbi de Gabès à avoir vécu ce cauchemar. Depuis le début de l’année scolaire, elles ont été les proies d’un enseignant pervers, et ont pris leur mal en patience. Face à l’insistance du professeur, elles décident de briser le silence. Elles informent la professeure d’histoire-géographie, qui leur conseille d’adresser une lettre à la Direction régionale de l’éducation et celle de la protection de l’enfance. Chose faite, fin janvier. Ce n’est qu’un mois après, et grâce à la persévérance des jeunes filles et la pressions exercées par leurs camarades ainsi que le cadre éducatif de cet établissement qui ont tenu un sit-in, le professeur est enfin, suspendu. Une enquête est ouverte.
Selon A*, elle aussi élève au même lycée, ce n’est pas la première plainte qui a été déposée contre ce professeur pour harcèlement sexuel. « Il a déjà été viré du lycée, cité Al Manar pour les mêmes raisons », déplore la jeune élève. A la Direction régionale de l’éducation, un responsable, témoignant sous couvert d’anonymat, affirme que son administration a ouvert une enquête le 8 février 2016 qui a mené à la suspension temporaire du professeur le 22 février. Il déclare que « toute cette histoire ne vaut pas la peine d’être discutée, et que l’affaire relève désormais du ministère de la Justice et celui de l’Education ». Pour finir, il ajoute que « décrire cette affaire comme une histoire de harcèlement sexuel, c’est trop dire ». La version des victimes est tout autre.
« Pourquoi devrais-je avoir honte de dire la vérité ? »
C’est la rentrée scolaire au lycée Abou el Kacem Chebbi de Gabès. I* a quinze ans et c’est sa première année au lycée. En cours de sciences naturelles, elle n’est pas à son aise. Elle trouve que son professeur, M*, la cinquantaine, a une attitude étrange. « Je sentais qu’il faisait tout son possible pour se rapprocher de moi », dit-elle. M*, avait pour habitude de ramener sa chaise et ses affaires, pour s’assoir à côté d’elle. « Une fois, il est venu, soi-disant, pour m’expliquer un exercice. Il s’est incliné et a, carrément, collé ses lèvres à mon oreille », raconte l’adolescente, encore dégoutée. M*, a pris l’habitude de passer son bras autour de la taille de la jeune fille, de caresser ses épaules et ses bras, « toujours sous couvert d’apprentissage des sciences naturelles ». I* était traumatisée. Elle ne voulait plus aller au lycée. Ses nuits blanches se succèdent et son envie de le dénoncer grandit. « J’avais, quand même, peur du qu’en dira-t-on, dans la rue et au lycée », déplore-t-elle.
Il fallait le dire. Si lui n’a pas honte de ses actes vicieux, pourquoi devrais-je avoir honte de dire la vérité
B* a 17 ans. Elève de troisième année secondaire. Sa malchance, est d’être tombée sur le même professeur de sciences naturelles. Elle savait dès le début que ce comportement pervers, c’est du harcèlement sexuel. « Je n’étais pas la seule. Il se comportait ainsi avec toutes mes camarades, sans la moindre exception et sans aucun scrupule », explique B*. En vérifiant les cahiers, le professeur s’inclinait pour toucher les bras mais aussi le dos des jeunes filles, principalement au niveau du soutien-gorge. B* n’en pouvait plus. « Il fallait le dire. Si lui n’a pas honte de ses actes vicieux, pourquoi devrais-je avoir honte de dire la vérité », dit-elle, sans aucun regret. « Pardon, je n’ai pas fait exprès », voilà ce que lui disait M* quand il effleurait les cuisses de ses élèves. « Vous savez, il mettait souvent les garçons à la porte, dès le début du cours », ajoute B*.
Pour Y*, 17 ans, c’est aussi un cauchemar, mais elle est encore plus en colère et plus déterminée à faire valoir ses droits de victime. « Chaque fois, qu’on a essayé de porter plainte contre lui pour harcèlement sexuel, la Direction régionale de l’éducation tait rapidement l’affaire : Dossier clos ! », s’indigne la jeune fille. Elle pense que M est très introduit auprès de la Direction régionale qui le protège. « Vous êtes voilée. Vous savez que c’est mal de causer du tort aux autres. Pourquoi faites-vous tout ceci à votre professeur ? ». Voilà ce qu’aurait demandé le délégué régionale de l’éducation de Gabes aux jeunes filles après les avoir convoquées.
Le harcèlement sexuel en milieu scolaire est une réalité
En février 2016, au Kef, un professeur est accusé de harcèlement sexuel à l’encontre d’une lycéenne sur Facebook. En janvier 2016, 63 plaintes ont été déposées contre un instituteur de l’école Habib Bourguiba à Houmet Souk, pour harcèlement moral et sexuel. En mars 2015, à Sousse, une fille de 8 ans est victime de harcèlement sexuel. Sa mère porte plainte contre le gardien de l’école. En novembre 2014, un professeur de mathématiques au lycée Habib Thameur de Sfax est accusé par un élève de harcèlement sexuel, durant les heures de rattrapage. En décembre 2013, un professeur est accusé de harcèlement sexuel par une lycéenne dont le père a déposé plainte auprès du tribunal de première instance de Kasserine. En avril 2013, une élève de 13 ans de l’école primaire de Bou Dokhan à El Mida dans le gouvernorat de Nabeul, a accusé son instituteur de harcèlement sexuel.
Selon le rapport, de la protection de l’enfance relevant du ministère de la Femme, de la famille et de l’enfance, le nombre de signalements reçus par les délégués à la protection de l’enfance s’est élevé à 6096 en 2014, soit 19 signalements par jour, en moyenne. Ce même rapport indique que 331 signalements pour exploitation sexuelle, dont 52% sont des cas de harcèlement sexuel et 35% de rapports sexuels avec des enfants, ont été recensés durant la même année.
Depuis 2004, le code pénal définit le harcèlement sexuel et le puni plus sévèrement lorsque la victime est un enfant (Art 226 ter), mais ce fléau ne cesse de se répandre. De la maison à la rue en passant par le travail, le harcèlement sexuel s’installe aussi dans les établissements scolaires. Des groupes de féministes dénoncent l’inefficacité des sanctions et le silence voire la banalisation du harcèlement sexuel. « L’actualité montre que le harcèlement sexuel n’est pas un phénomène marginalisé dans le milieu scolaire et dans le domaine de l’éducation de manière générale […] Nous pensons, en revanche, qu’il est primordial de mener des campagnes de sensibilisation au sein des établissements scolaires et autres structures éducatives, afin que les victimes prennent conscience de leurs droits, les agresseurs de leurs crimes et que tous prennent leurs responsabilités. Il est indispensable de garantir aux femmes et aux filles le droit à une éducation dispensée dans un environnement sans discrimination, ni violence », indique le collectif Chaml sur sa page facebook.
* Seules les initiales ont été gardées, pour protéger les jeunes filles
Source : https://nawaat.org/portail/