Dans la nuit de lundi à mardi, la police a dû intervenir dans la petite ville de Cona, près de Venise, dans le nord de l’Italie : 25 employés d’une structure d’hébergement de migrants ont été retenus jusqu’à 2 heures du matin. Les pensionnaires du centre protestaient contre les mauvaises conditions de vie dans cette ancienne base de lancement de missiles qui héberge aujourd’hui 1 500 personnes. Surtout, ils s’indignaient de la lenteur dans la prise en charge de Sandrine Bakayoko, une Ivoirienne de 25 ans décédée ce lundi. Sa mort a provoqué de vives polémiques en Italie, dans un contexte politique très tendu sur le sujet de l’immigration.
Passée par la Libye, Sandrine Bakayoko était en Italie avec son compagnon depuis quatre mois. Elle s’est évanouie dans les toilettes du centre d’hébergement, puis a été retrouvée inerte lundi 2 janvier vers midi, selon des témoins. L’ambulance est arrivée à 14 heures : les médecins ont déclaré être partis juste après avoir reçu l’appel, et avoir essayé de la réanimer, sans résultat. Le parquet de Venise a ouvert une enquête et a demandé son autopsie. «Elle était malade depuis des jours, a expliqué le compagnon de la jeune femme au Corriere della Sera. L’endroit n’était pas adapté pour les femmes.» La révolte a commencé dans la soirée de lundi et a duré pendant plusieurs heures : les migrants ont brûlé des meubles et les employés se sont barricadés dans les bureaux. Personne n’a été blessé.
«Vie quotidienne insupportable»
La polémique est partie dès le décès de la jeune fille. «Si on entre au gouvernement, on expulsera massivement les immigrés», a affirmé Matteo Salvini, le leader de la Ligue du Nord (extrême droite). A l’autre bout du spectre politique, le député de gauche Giovanni Paglia (Sinistra italiana, «la gauche italienne») a rappelé qu’en novembre, le lieu avait été inspecté et que les mauvaises conditions de vie avaient été dénoncées : «La situation est pénible : la structure est surpeuplée et la vie quotidienne est insupportable.»
Le nouveau gouvernement de Paolo Gentiloni, arrivé après la démission de Matteo Renzi début décembre, venait d’annoncer un durcissement de la politique d’accueil en Italie. Le nouveau ministre de l’Intérieur, Marco Minniti, et le préfet Franco Gabrielli ont publié samedi une note dans laquelle ils annoncent des mesures plus sévères sur l’immigration. Ils souhaitent augmenter le nombre d’un autre type de structure : les centres d’identification et d’expulsion (CIE). Ils passeraient de quatre aujourd’hui à 20. Le gouvernement Renzi, lui, s’était toujours opposé à cette demande de l’Union européenne d’augmenter le nombre de ces centres, décrits comme de véritables prisons. Les associations, qui contestent cette décision du nouveau gouvernement, comparent ces endroits à des «camps de concentration», où les droits humains ne sont pas respectés. Quelques jours avant le décès de la jeune ivoirienne, le Mouvement Cinq Etoiles, parti eurosceptique fondé par l’humoriste Beppe Grillo, avait déclaré vouloir l’expulsion de tous les immigrés irréguliers et sans droit d’asile.
Durcicement contre l’immigration
L’Italie, dès 2014, a dû faire face à l’arrivée de 500 000 migrants. Parmi ceux-là, 15 000 ont été renvoyés. Après que la police italienne a tué le terroriste de l’attentat de Berlin, en décembre, le gouvernement a durci sa position : le Tunisien Anis Amri était arrivé en Sicile et avait pu librement circuler sur le territoire. Le pays se sent abandonné par l’Union européenne : «On est seuls à faire face à cette urgence», avait regretté en octobre le président de la République, Sergio Mattarella.«C’est une erreur de penser que les immigrés sont des terroristes, a-t-il ajouté lors de ses vœux du nouvel an. Mais nous devons faire tous les efforts pour empêcher que des prédicateurs de mort arrivent dans notre pays». Un appel pour redire à l’Europe que le problème n’est pas seulement italien.
Martina Castigliani