La phrase prémonitoire de Gramsci résume la situation où nous nous trouvons aujourd’hui « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair obscur surgissent les monstres ». Cette situation donne une acuité aux défis de la construction démocratique y compris le débat incontournable sur ce que nous pouvons pour la commodité du langage, appeler laïcité Un concept polysémique Outre le problème lié à l’ aspect sémantique polysémique du concept de laïcité, en terre d’islam, qui ne connaît pas d’Eglise, la laïcité n’a pas d’équivalent en arabe. Le terme est , soit phonétiquement arabisé (comme en Turquie), soit il est traduit abusivement par I’Ilmania (de I’llm, science), et prend facilement le sens d’athéisme ou du moins de non-religiosité.
Au lendemain de la création du Collectif Démocratie et Modernité, nous avons eu droit à un éditorial de Attajdid, journal du PJD, qui nous désigne comme les « sans religion » « Alla dinioune ». Ce qui n’empêche pas un leader du PJD de lancer à Chevènement le 28 octobre 2003 à la conférence organisée par l’association Trait d’Union France-Maroc : « Je suis d’accord avec vous pour la laïcité en France mais au Maroc, nous avons besoin d’islamité » sachant pertinemment l’existence au sein du nouveau conseil français du culte musulman (CFCM) installé par le Ministre de l’Intérieur, d’une commission chargée de « proposer des orientations sur l’enseignement du fait islamique destinées aux établissements scolaires ». Sachant par ailleurs que si l’avis du 27 Novembre de 1989 stipule que la laïcité implique le respect des croyances et qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le principe de la laïcité et le fait de manifester son appartenance à une religion, il n’en reste pas moins que le port de signes religieux ne devrait pas être un acte de pression, de prosélytisme, de propagande ce que les intégristes font de manière systématique.
L’Occident et la « laïcité incertaine ».
En France, la laïcité s’inscrit dans l’histoire et dans le droit. Elle sous-tendait déjà la Révolution de 1789, pendant laquelle les biens du clergé furent confisqués et les prêtres tenus de prêter allégeance à la République. De haute lutte, la laïcité a fini par s’imposer comme norme juridique dans la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État.
Aujourd’hui, elle figure dans le préambule de la Constitution, comme caractéristique de la France elle-même (« la France est une république laïque »). Si l’on excepte la France et le Portugal et dans une certaine mesure la Belgique, l’Europe, les Etats Unis et le Canada ne sont pas laïques. Au Danemark, l’Eglise luthérienne reste l’Eglise nationale et symbolise l’identité du pays sans toutefois porter atteinte aux autres communautés religieuses protestantes. les Eglises catholique et orthodoxe, le judaïsme, les TÉmoins de Jéhovah, les bahaïs et les sikhs sont des cultes reconnus alors qu’ils représentent à eux tous, qu’environ 2 % de la population. La liberté de conscience et l’absence de discrimination selon l’origine ou la croyance sont garanties de façon effective par un dispositif très démocratique. Pour le moment en tout cas, société fortement sécularisée, le Danemark s’accommode d’une situation non laïcisée.
Les autres pays scandinaves ressemblent au Danemark mais, contrairement à ce pays, ils semblent maintenant engagés dans le début d’un processus de laïcisation. L’Eglise luthérienne de Suède n’est plus une Eglise nationale depuis l’année 2000 et un changement de même nature s’opère,en ce moment, en Norvège. La situation finlandaise évolue également puisque le président de la République ne nomme plus les évêques.
La Belgique est un exemple attractif. L’Etat belge se veut neutre à l’égard des religions et affirme n’être soumis à aucune tutelle ecclésiastique.
Inversement, il s’interdit toute ingérence dans les questions doctrinales et les affaires intérieures des différents cultes. Certains belges – y compris dans les milieux de l’humanisme agnostique – parlent en conséquence de séparation entre l’Etat et les cultes et de l’Etat laïque. Même si l’Etat belge n’a jamais signé de Concordat avec Rome, il existe un système pluraliste de six cultes reconnus, les cultes catholique, protestant, anglican, orthodoxe, israélite et musulman. Acte officiel de l’Etat, la « reconnaissance » d’un culte induit une protection particulière accordée en raison d’une « utilité sociale ». Cela signifie que le culte en question est jugé répondre au besoin social d’une fraction de la population. De là découlent certains avantages comme la prise en charge des traitements des ministres du culte, la présence d’aumôniers payés par les pouvoirs publics dans les hôpitaux, les prisons, les aéroports et l’armée, et, pour la plupart des cultes reconnus, l’existence – chaque fois que le nombre d’ élèves atteint un certain seuil – de cours de religion à l’école publique.
Mais le système belge possède une autre originalité, celle de reconnaître et de rétribuer une « communauté non confessionnelle » composée d’organisations « qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle ». Cette communauté, que l’on qualifie souvent de laïque ou d’humaniste, comporte des conseillers qui effectuent dans les hôpitaux ou l’armée un travail d’assistance analogue à celui des aumôniers. Elle propose également des cours de « morale non confessionnelle » à l’école publique.
Ce mouvement philosophique a pour étendard le principe du libre-examen et il élabore des réflexions originales grâce à son Université, l’Université libre de Bruxelles. Malgré ce pluralisme assez large, et une indéniable évolution ces dernières décennies, le poids du catholicisme reste prédominant en Belgique.
L’Espagne appelle deux constats ; d’une part la Constitution affirme : « aucune religion ne sera religion d’Etat » ;
d’autre part, dans la même Constitution, il est indiqué que « les pouvoirs publics tiendront compte des croyances religieuses de la société espagnoles et maintiendront les relation de coopération avec l’Eglise catholique et les autres confessions ».
Si le Concordat a été modifié, il n’a pas été aboli pour autant. Les accords signés avec le Vatican prévoient une subvention de l’Etat àl’Eglise catholique espagnole et à l’enseignement privé catholique qui reste fort, surtout dans le primaire.
La confessionnalité de l’Etat grec – dont certains des traités se retrouvent dans d’autres pays orthodoxes comme la Bulgarie ou Chypre – se marque dès la Constitution promulguée sous les auspices de la « très Sainte Trinité ». Elle est présente également dans le serment du Président de la République.
Le statut de l’Eglise orthodoxe l’assimile à une religion d’Etat. L’éducation orthodoxe de la jeunesse est obligatoire, les forces armées sont sous le patronage de la Vierge Marie et l’Eglise orthodoxe bénéficie de nombreux soutiens, notamment financiers, de la puissance publique. La Turquie a institué la laïcité dans sa Constitution en 1937.
Le terme de laiklik est directement inspiré du mot français et Mustafa Kemal Ataturk a été présenté comme « le petit père Combes de l’islam » dès l’abolition du califat en 1924. Cette identification à l’anticléricalisme de Combes montre que ce n’est pas le modèle de la loi française de 1905 qui a triomphé en Turquie. La laïcité à la turque ne connaît ni la séparation, ni la neutralité.
Elle consiste plutôt d’abord en une occidentalisation de la société :
l’instauration, en 1926, du calendrier grégorien avec le dimanche comme jour férié est, à cet égard, significative. Ensuite, elle signifie la mise en place, par l’Etat, d’un islam national turc avec deux organismes dépendant de la présidence du Conseil : la Direction des Affaires religieuses et la Direction générale des vakf-s. Les imams sont des fonctionnaires rétribués par l’Etat. Il s’agit à la fois d’une laïcisation de la société et d’un contrôle de la religion majoritaire par l’Etat.
Aux Etats-Unis d’Amérique le jugement de la Cour d’appel de San Francisco déclarant anticonstitutionnelle la phrase « une nation placée sous la protection de Dieu » dans le serment d’allégeance au drapeau et à la République prononcé chaque jour par les élèves des écoles primaires américaines a soulevé une forte résistance. Devant le tollé déclenché par cette décision, celle-ci a été suspendue sine die. Les Américains usent et abusent de la référence à Dieu car elle peut être socialement déconnectée de toute Eglise et être, ainsi, à la base d’une religion civile qui donne un fondement transcendant à l’Etat-nation.
Le droit québécois et canadien ignore le concept de laïcité, bien que l’existence des libertés fondamentales de conscience et de religion comporte aussi une obligation de neutralité pour l’État. Notre droit constitutionnel garantit ces libertés fondamentales mais proclame du même souffle que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la « suprématie de Dieu ». Il ne correspond certes pas au modèle classique de séparation de l’Église et de l’État ni à sa contrepartie, où existerait une religion d’État. Ainsi, au Québec, comme en France, les fêtes d’obligation catholiques sont des jours fériés et chômés alors que ce n’est pas le cas pour les autres religions Qu’en est-il au Maroc ?
Au niveau formel, toute la construction institutionnelle marocaine se base sur une apparente fusion du religieux et de l’étatique mais dans la pratique politique, culturelle et sociale, nul ne peut nier la distance importante qui existe avec la charia. C’est cette distance entre le religieux et l’étatique que conteste le mouvement islamiste.
Les facteurs historiques et actuels semblent peser d’un poids énorme contre toute forme de laïcité au Maroc :
1- la constitution définit le Maroc comme un Etat musulman, où l’Islam est religion d’Etat, un Etat qui ne reconnaît pour citoyens que des musulmans et des juifs, toute autre choix religieux ou non-religieux étant non seulement interdit mais même passible de sanctions pénales. Donc la citoyenneté et la nationalité marocaines se définissent d’abord par la religion, ce qui n’est pas le cas des nombreux pays chrétiens qui accueillent des musulmans et leurs mosquées alors que par comparaison, l’Arabie Saoudite qui construit des mosquées dans tous les pays occidentaux, refuse les lieux de culte chrétiens sur sa terre.
2- le roi est Amir Al Mouminine c’est-à-dire qu’il incarne dans sa personne le double pouvoir religieux et politique, enlevant ainsi toute légitimité à une perspective laïque.
3- les affaires du culte musulman relèvent d’un ministère public, ce qui signifie que c’est le pouvoir politique qui s’occupe des questions religieuses.
4- les Oulémas n’ont jamais pu constituer, comme l’église chrétienne, un pouvoir religieux autonome et matériellement indépendant par rapport au pouvoir politique, ce dernier ayant toujours visé à se les soumettre.
Bien plus, aujourd’hui, les Oulémas sont tous salariés de l’Etat.
5- l’histoire du pays est marquée par l’exclusion de tout autre rite que le rite sunnite malékite fermant la voie à toutes divergences et débat religieux. fondamentales.
6- Une dualité du dispositif législatif : le code de la famille, le code de la nationalité qui maintiennent le référentiel religieux d’un côté et un dispositif législatif qui tire son référentiel des lois et normes internationales.
C’est cette dualité qui est contestée par les islamistes qui veulent et réclament un retour aux sources allant, pour certains courants jusqu’à contester le statut de Amir Al Mouaminine.
7- L’école, « révélatrice des difficultés » et offrant le lamentable spectacle de la stratégie du bricolage, forme des enfants non pas aux principes de modernité, d’universalité, de démocratie, mais des êtres ignorants des progrès enregistrés par la société humaine au cours des derniers siècles et fanatiques de leur foi et de leur identité, Dans ce recul culturel et idéologique, les dégâts de l’école marocaine ont été prolongés par la formation d’un corps de Oulémas, formés par l’Etat et salariés de cet Etat, mais qui se sont mis au service des islamistes, surtout pendant le débat sur les droits des femmes.
Les mosquées comme relais de la formation et l’alphabétisation ont complètement échappées au contrôle de l’Etat et sont devenues un lieu de prosélytisme et de propagande politique.
8- Les démocrates de ce fait se trouvent pris entre le fondamentalisme des groupes politiques religieux et le fondamentalisme de l’Etat. Le débat sur la laïcité est motivé par la présence étouffante de ces deux pôles. Il a été suscité certes par la question de la réforme de la moudawanna mais pas seulement.
– Déjà en 1999, la levée de boucliers contre l’organisation de Miss Rabat, qui va se reproduire en 2002 pour Miss Maroc. « Afin d’éviter toute polémique préjudiciable au projet, il n’y aura pas de défilé en maillot de bain », affirme M. Jazouli. Et il a fallu négocier dur pour arracher cette concession au Comité de Tokyo afin de préserver le label international de l’événement. En vertu de cet accord, Miss Maroc sera dispensée du défilé en maillot, mais uniquement pour cette première édition.
– 2M la chaîne de télévision qui représentait pour les Marocains un espace de liberté et de modernité, a présenté, pour la première fois, sous la pression des députés du PJD, des excuses publiques pour la présentation d’un livre prétendûment attentatoire à l’islam.
– Un député du PJD agresse verbalement une camerawoman de la TVM en raison de sa tenue jugée trop légère…
– Le film de Nabil Ayouch Une minute de soleil en moins n’est toujours pas sorti en salles au Maroc, faute d’avoir obtenu un visa de la commission de censure sous la pression des islamistes du PJD.
– Il s’en prennent aussi à la décision récente de traduire en langue amazigh Le Pain nu, un livre à succès de Mohamed Choukri sorti dans les années 1980, dont certains passages mettent en scène des homosexuels.
– Ils dénoncent par ailleurs l’activité des centres culturels étrangers. L’une des députées du PJD, Fatima Ben El-Hassan, a ainsi récemment accusé ces établissements de véhiculer « des valeurs de débauche et de dérive ». Tandis qu’un autre parlementaire islamiste, Al-Moqri’e Abou Zaïd, se lançait, de son côté, dans une violente diatribe contre « la soumission à un néocolonialisme francophone et le déracinement culturel des jeunes Marocains qui fréquentent les centres et les missions d’enseignement étrangers au Maroc ».
– Mohamed El-Gahs actuel Secrétaire d’Etat à la jeunesse lui vaudra d’être accusé par le journal Al-Tajdid, organe du PJD, d’appartenir à une « cinquième colonne francophone et sioniste » pour sa prestation sur un plateau de télévision.
– le 31 janvier 2003, le PDJ s’était associé à une marche organisée par une association de soutien au peuple palestinien et l’AMDH pour dénoncer les positions pro-israéliennes de Laurent Gerra et empêcher la tenue du spectacle de l’humoriste français Laurent Gerra qui s’est avéré n’avoir jamais tenu de propos sionistes. Laïcité et environnement politique et social Les turbulences vécues par l’Europe, comme la montée des intégrismes dans les pays musulmans et la vague de violence terroriste qui l’ont accompagnée ont remis sur le tapis le débat sur laïcité. Souvent désemparées devant une diversité religieuse croissante, les sociétés occidentales se tournent les unes vers les autres en quête de modèles plus satisfaisants de « gestion » de cette diversité. Toutefois le débat sur la laïcité ne peut occulter la situation internationale :
1)la militarisation de la mondialisation avec l’occupation de l’Irak et la destruction du peuple palestinien menées par l’Etat américain et l’Etat d’Israël. Rien ne semble arrêter cette folie meurtrière faite au nom de « la liberté et de la démocratie ». L’occupation de l’Irak et de la Palestine est une entreprise raciste et coloniale dont le but n’est pas seulement de s’emparer du pétrole irakien, mais également de démembrer la région et de la mettre sous les bottes des sionistes au pouvoir de l’Etat d’Israël, afin de liquider définitivement la cause nationale du peuple palestinien, au moment même où ce dernier est soumis aux tueries, à la destruction systématique de ses terres agricoles, de son infrastructure, et à la tentative de destruction de sa mémoire, de son histoire et de sa culture.
2) Il est un trait singulier de notre époque, c’est que la volonté impérialiste américaine de dominer le monde exacerbe la violence de réseaux terroristes et alimente des discours et théories qui nous renvoient à l’époque lointaine qu’on pensait révolue des croisades. Depuis le 11 Septembre 2001, dans l’amalgame, les musulmans, les arabes, les maghrébins et tout particulièrement les marocains sont assimilés à des terroristes en puissance.
La résistance légitime du peuple irakien et du peuple palestinien à l’occupation est assimilée à des actes terroristes. La sécurité internationale est confrontée à une situation particulièrement périlleuse : un terrorisme d’Etat et des groupes armés de plus en plus motivés qui se reconstituent sans mal dans un tissu social musulman où les frustrations abondent. Outre la résistance légitime des peuples à l’occupation et à la violence des Etats, comme on pouvait le craindre, le terrorisme a été relancé par l’occupation de l’Irak et les assassinats en Palestine..
3) La création de l’espace Schengen en Europe, en 1990, s’est traduite par la réduction drastique des visas accordés et a suscité un sentiment d’enfermement parmi les jeunes de la rive sud de la méditerrannée vivant dans le dénuement, sous le poids d’une idéologique et de pratiques conservatrices aggravées par les horizons bouchés de l’emploi et des politiques étatiques de déni des droits sociaux et économiques. Et ce, face à une Europe qui offre l’illusoire image de l’opulence et de la liberté. Autant de facteurs qui expliquent l’explosion de l’immigration clandestine en particulier vers l’Espagne, dans des pateras de fortune, via le détroit de Gibraltar qui est devenu le plus grand cimetière du royaume. Pour aggraver cette tragique réalité, le Maroc est également devenu ces dernières années une tête de pont pour les candidats à l’émigration clandestine vers l’UE, notamment en provenance d’Afrique subsaharienne.
4) Les immigrés sont l’objet d’une politique discriminatoire, raciste, xénophobe, qui les acculent au « communautarisme » comme seule issue au nouvel apartheid mondial.
5) La pauvreté, l’exclusion et la fracture sociale générées par les ajustements structurels et les politiques impopulaires de des Etats du sud ainsi que les dérives totalitaires, répressives et sécuritaires, au détriment de choix démocratiques, constituent le lit de groupes fondamentalistes.
6) Au Maroc, pendant des années, en toute impunité, et avec la complicité des pouvoirs en place, dans les prêches et les manifestations publiques, par les cassettes et les opuscules distribués au sus et au vue de tous, les intégristes ont appelé au crime , à l’apostasie, à l’anathème, à l’ antisémitisme, à la ségrégation causant une fracture dans une culture millénaire de coexistence de communautés de confessions juives, chrétiennes et musulmanes. Pendant des années le gouvernement américains, l’Europe et L’Etat marocain ont contribué à la construction d’une immense « toile » intégriste, souvent bien organisée en plein cour de la « modernité », à Hambourg, Londres, New York. En même temps, certains de ces mouvements ont retourné la situation : d’instruments du pouvoir, ils ont imposé leurs espaces, poursuivi dans un triste détournement de la perspective gramscienne, la « guerre de position » au niveau social et culturel. Au lendemain du 16 Mai 2003, les marocains découvrent dans le fracas des bombes l’illusoire « exception marocaine » mais aussi que plusieurs centaines, peut-être même quelques milliers de jeunes marocains étaient prêts à passer au Jihad. On le savait, mais on n’osait pas l’admettre, que Bin Ladden était un héros dans plusieurs quartiers populaires.
7) Ces dernières années, les différentes composantes de l’islam politique marocain ont vu croître leur audience au sein des couches populaires au gré de l’application des recettes néo-libérales prônées par le FMI et la Banque mondiale aggravant les clivages sociaux, les clivages entre villes et campagnes, entre hommes et femmes. A cela, il y a lieu d’ajouter :
– la résurgence d’un système sécuritaire qu’on espérait révolu avec ses disparitions, ses procès iniques, ses pressions contre la presse et les journalistes indépendants, ses arrestations arbitraires.
– une situation sociale dramatique et révoltante avec la concentration de richesses indécentes entre les mains d’une minorité, qui bénéficie d’une économie de rente.
– La montée des mouvements identitaires et intégristes de toutes natures avec un discours religieux populiste et démagogique conforté en cela par une pratique caritative de proximité..
– La mondialisation néo-libérale avec l’habit du discours de la modernité accentue le sentiment d’insécurité sociale 8.. Les mouvements sociaux et la gauche sont donc relativement désemparés devant ce « clair obscure ». Sans le dire, plusieurs espèrent que l’Etat et ses supporteurs impérialistes feront le « travail », c’est-à-dire qu’ils élimineront, par la force principalement, le « danger islamiste ». C’est une optique évidemment très dangereuse qui pourrait saper encore davantage les bases populaires de la gauche, qui sera alors perçue comme un simple relais du pouvoir. D’autres courants au contraire flirtent avec l’idée d’une alliance sinon implicite mais de facto avec les islamistes. Au Maroc on se retrouve souvent à se côtoyer, surtout pour dénoncer l’impérialisme américain et le sionisme oubliant que pour les intégristes l’impérialisme c’est le « clash des civilisations » promu par la droite américaine et qu’ils antisémites et loins d’être anti-sionistes.
9) Au Maroc se multiplient des agressions violentes contre des Marocains de confession juive, qui constituent une communauté très ancienne et très enracinée.
Par l’influence islamiste, des manuels scolaires,des cassettes audio reprennent des formulations et des images que les Nazis n’auraient pas reniées. Quelles alternatives ?
Si les uns sont tentés par l’alliance avec le pouvoir (contre les islamistes) et les autres sont tentés par l’alliance avec les islamistes (contre le pouvoir), d’autres voies dans des conditions de plus en plus difficiles, s’élèvent pour construire une « troisième » voie, à la fois démocratique et pluraliste, à la fois radicale et populaire. Ce que nous retenons de la laïcité c’est qu’elle sous-tend un système démocratique, la paix et rend possible le débat dans l’espace public .
L’histoire des persécutions et des guerres au nom des religions constitue une démonstration par l’absurde de la nécessité de la laïcité. Les trois grandes « religions du Livre » ont à des titres divers inspiré les violences qui résultent d’une volonté de s’imposer à tous les hommes. Ce qui bien souvent a fait de chacune d’elle une victime là où elle était dominée et une source d’ oppression là où elle était dominante. Les dictatures et les fascismes aussi. La laïcité suppose donc une distinction entre « privé » et « public ». Nous comprenons le mot « Laïc » du grec « laos » comme un terme qui désigne l’ensemble du peuple. Il s’agit en effet de réaliser l’unité du peuple au-delà des différences de croyances.
La laïcité est entendue comme le mécanisme politique le plus apte à garantir les convictions religieuses ou philosophiques et à assurer la neutralité de l’Etat. C’est donc un instrument de respect des choix des individus et un élément fondateur de la démocratie qui suppose la liberté de conscience. La laïcité c’est assurer une condition d’accès à la nationalité et à la citoyenneté indépendamment des choix religieux ou philosophiques. C’est pourquoi la bataille est fondamentalement une bataille pour la démocratie et cela suppose :
– La lutte contre toute forme d’impérialisme et de déni du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
– La lutte contre l’exclusion économique, sociale et politique des masses populaires, par une répartition équitable des richesses. Pour couper court aux tentatives fascisante l’objectif prioritaire national c’est de développer l’emploi et de lutter contre la pauvreté.
– La lutte contre un capitalisme prédateur qui se fortifie sur la destruction des hommes et des ressources naturelles et sur la corruption.
– La lutte pour une nouvelle stratégie éducative qui apprennent aux nouvelles générations des valeurs de démocratie, de respect de la différence, de la modernité et de la rationalité.
– La bataille politique dans les quartiers populaires pour réinventer de nouvelles formes de solidarités qui visent une ré appropriation par le peuple des espaces et des biens dont il a été exclu loin de la seule vision caritative.
– Il faut réinventer une culture politique qui rompt avec les mêmes travers de l’autoritarisme, du culte des leaders, de la dangereuse mentalité « avant-gardiste », qui rompt avec le populisme mais aussi avec les aliances de sérails loin de toute transparence et participation des gens.
– Il faut enfin participer d’une façon créative à la construction de nouvelles solidarités internationales, et face à la mondialisation d’un capitalisme sauvage et de la mondialisation des intégrismes, construire la mondialisation des résistances pour un monde meilleur. Ne construisons pas sur fond d’amnésie : rappelons nous que les mouvements intégristes les plus puissants se sont développés dans les Etats où il n’y a plus aucun champ politique autonome, ni partis politiques, ni syndicats, ni journaux libres, etc. La religion est devenue l’espace de la confrontation politique. Les fondamentalistes sont un mouvement politique qui sont avant tout intéressés par la conquête du pouvoir politique. Les dimensions spirituelles de la religion les intéressent beaucoup moins.
Kamal Lahbib.
Article publié en 2004.