Ils sont nombreux à avoir quitté la Tunisie de façon illégale avant et après la Révolution. Ils sont également, nombreux à avoir péri au large de la Méditerranée au su des forces de sécurité maritime nationale et étrangère. Mais combien sont-ils exactement ? Nul ne le sait, car « aucun chiffre précis n’a été rendu public par les autorités ou les organisations internationales », constate le Forum Tunisien sur les Droits Economiques et Sociaux dans son rapport sur les Tunisiens disparus en mer en 2012.
Publié récemment, le rapport fait un état des lieux de l’émigration maritime depuis la Tunisie. Le même rapport pose également, des interrogations qui restent sans réponses sur les mesures prises pour venir en secours des émigrés disparus les 6 et 7 septembre 2012 au large de l’îlot de Lampione à Lampedusa et le 9 novembre de l’année écoulée au large de Haouariya. Rappelant les faits de disparition de deux groupes, le rapport exhorte les autorités tunisienne et italienne à donner des éclaircissements sur les deux incidents dramatiques qui représentent encore un point sombre dans la série de l’émigration irrégulière.
Au total 64261 personnes avaient embarqué pour l’Europe depuis la Tunisie et la Libye dans le contexte des révolutions qui ont eu lieu dans les pays du Maghreb Arabe. Si certains ont réussi à atteindre leur destination, d’autres non. En effet, pratiquement 2000 émigrés ayant quitté leur pays d’origine sont morts ou disparus dont, 1000 Tunisiennes et Tunisiens. Un constat certes dramatique, d’autant plus qu’aucune information n’a été fournie jusqu’à présent sur le sort de ces personnes. En fait, malgré tous les efforts déployés par les acteurs de la société civile tunisienne et internationale, « le gouvernement tunisien et les autorités de l’Union Européenne sont restées sans réponse concernant le sort des personnes disparues en mer », confirme le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES).
Absence d’informations
Pis. Les multiples revendications du FTDES et de nombreuses autres organisations pour constituer une commission d’enquête mixte incluant des membres des gouvernements, de la société civile ainsi que des experts indépendants et des représentants des familles des disparus ne trouvent pas une réponse favorable. Au contraire, aucune information fiable ni convaincante n’a été fournie par les autorités tunisienne et italienne concernant les disparus, notamment ceux ayant quitté, entre le 5 mars au soir et le 6 septembre 2012, la région de Sfax pour se diriger vers Lampedusa, et lesquels ont croisé -d’après des témoignages- un navire de la Garde Nationale Tunisienne. Rappelant les faits de disparition de 100 à 150 personnes dont, trois femmes et un enfant, dans cette traversée, le FTDES pose des questions qui restent sans réponses. « Que s’est-il passé lors du croisement du bateau parti de Sfax par le navire de la Garde Nationale Tunisienne ? Quelle était la position de cette rencontre ? La Garde Nationale a-t-elle prévenu les autorités italiennes qu’une embarcation allait entrer dans la zone de recherche et secours puis probablement dans ses eaux territoriales ? Si c’est le cas, quelle a été la réaction de ces dernières ? Le Bateau a-t-il été repéré avant les appels de détresse par un avion, un hélicoptère ou un radar tunisien ou européen ? Quelle a été alors la décision prise ? Quelle était la position des appels au secours qui, passés depuis des téléphones portables, se trouvaient normalement dans la zone de couverture GSM ? Des démarches ont-elle été entreprises afin d’obtenir ces informations ?… ». Un tas de questions qui restent sans réponse précise de part et d’autre ce qui accroît encore plus la tristesse des familles des disparus. Les interrogations posées par le Forum ne se limitent pas à ce niveau. Elles touchent un autre volet très important à savoir : les procédures prises par les autorités italienne et tunisienne pour identifier et/ ou de rapatrier les cadavres retrouvés suite au naufrage. « Cette procédure est-elle systématique ? Comment les familles peuvent-elles se renseigner sur ces identifications ? ».
Rien n’est clair pour l’instant. C’est plutôt le silence radio sur ces faits dramatiques, ce qui amplifie davantage le chagrin des familles obligées de prendre leur mal en patience. Mais jusqu’à quand ? Quand- est ce que les décideurs au pouvoir prendront-ils la question avec plus de sérieux pour venir en aide à une frange de la société doublement blessée ? Elle doit en effet, endurer stoïquement sa peine d’avoir perdu un cher enfant et/ ou parent en plus de la négligence d’un gouvernement qui se targue d’être démocrate et qui prétend respecter les valeurs des droits humains.
Sana FARHAT
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