La grande majorité des tunisien-es qui critiquent l’attribution du prix Nobel de la paix aux associations de la société civiles tunisiennes membres du quartette qui ont dirigé le dialogue national en Tunisie : l’UGTT (Union générale tunisienne du travail), l’UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), la LTDH (la Ligue tunisienne des droits de l’homme) et de l’Ordre national des avocats.
Pour motiver sa décision, le jury Nobel a parlé « de contribution décisive dans la construction d’une démocratie pluraliste en Tunisie après la “révolution du jasmin” de 2011 ».
L’annonce du prix Nobel de la paix a suscité une grande joie parmi les tunisiens et aussi des critiques.
D’emblée il faut dire que la critique de cette attribution est la preuve, que la Tunisie n’est pas l’Égypte de Sissi et qu’on peut critiquer un acte très fort de la vie public : un Nobel pour des organisations de la société civile, et ce sans aller en prison.
Cependant l’examen de l’écrasante majorité de ces critiques montre qu’elles ne sont pas liées à la nature de ce prix et à ce qu’il représente comme symbole. Elles sont liées beaucoup plus à la nostalgie de la Troïka qui a gouverné la Tunisie jusqu’à sont départ suite à la mobilisation populaire et à celle de la société civile sans violences sans coup de forces n’en déplaise aux nostalgiques.
L’institution super star et hyper médiatisée du prix Nobel de la Paix est certes critiquable et souvent critiquée et pourquoi n’en serait-il pas ainsi ?
Jean Paul Sartre a ainsi refusé le prix en invoquant des considérations personnelles et objectives ; il a ensuite expliqué qu’il avait toujours refusé les distinctions officielles et a même rajouté que ses sympathies allait au socialisme mais qu’il aurait aussi refusé un prix Lénine. Il a aussi indiqué qu’il l’aurait accepté pendant la guerre d’Algérie et lors de la signature du manifeste des 121 (Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie). Avant Sartre, en 1926, George Bernard Shaw refusa la récompense pécuniaire du Prix Nobel.
Mais les fâchés des Nobel Tunisiens, loin de tout effort de critiques de fond font l’impasse sur la signification du Nobel de la paix qui est sensé récompenser « la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix. ; cela comprend la lutte pour la paix, les droits de l’homme, l’aide humanitaire, la liberté.
Ils refusent de voir l’apport du quartette dans ce qui pourrait les lier au prix comme la transition pacifique et démocratique en Tunisie.
Les jurés du Nobel ont voulu rendre hommage à cette alliance issue de la société civile tunisienne qui a permis de sauver la paix civile qui menaçait d’avorter deux ans et demi après le déclenchement de la révolution en Tunisie qui allait « ébranler le monde » de la région arabe en 2011.
Le « dialogue national » entre les islamistes d’Ennahda et leurs alliés alors au pouvoir en Tunisie et l’opposition institutionnelle ou non, a permis de former de sortir de la crise en formant un gouvernement « indépendant » et à adopter la future Constitution et d’ouvrir la voie aux élections.
Les critiques ont-ils oublié la grave crise politique née des assassinats de deux figures de la gauche laïque : Chokri Belaïd le 6 février 2013 et Mohamed Brahmi le 25 juillet 2013 ?
Ont-ils oubliés l’entêtement de la Troïka à ne pas voir le développement des groupes « fascistes jihadistes » qui bénéficiaient de vitrines légales grossièrement cachés sous des mouvements de piété.
Poussant la nostalgie de la troïka plus loin, certains pensent que le quartette a été une instance antidémocratique car contre la constituante. En fait ils tentent de javelliser la lutte politique et démocratique en la confinant dans un face à face stérile de chiens de faïences au sein du parlement, entre une opposition inefficace et un gouvernement autiste au nom du respect du résultat des élections. Voter est bien sur fondamental, mais rejeter un mouvement citoyen qui s’appuie sur une alliance concrète produite par la réalité des luttes tunisiennes comme a été le quartette c’est vouloir en fait vouloir prolonger les échecs de la troïka.
Voter c’est bien sur fondamental, mais attendre sagement la fin de mandat (qui avait été dépassé par la constituante) est un cadeau pour ceux qui faisaient mal leur travail de constituant.
Pourquoi refuser l’engagement citoyens et mépriser le formidable mouvement pacifique durant l’été 2013 mettant en cause la responsabilité de la troïka dans le pourrissement de la situation ? La démocratie ne peut se contenter de séances parlementaires, les gens doivent pouvoir se saisir des questions importantes qui les concernent et interpeller les élus pour obtenir des changements.
D’autres arguments font une abusive comparaison avec le coup de force de Sissi pour discréditer le mouvement de l’été 2013. Mais cela reste un procès d’intention les faits qui restent têtus n’ont pas étayé ce soit disant coup de force.
En refusant le prix Nobel pour le quartette qui a pu apporter une solution concrète pacifique au blocage de la transition démocratique, on exclut le mouvement des gens et on s’en remet uniquement à une constituante qui avait outrepassé son mandat de voter la constitution en un an. Ce refus tourne le dos à l’aspiration des gens à se mobiliser contre les tentations totalitaires essentiellement représentés par les courants « daéchistes ».
En refusant le Nobel, on refuse de voir que le quartette n’est que le prolongement de la réponse citoyenne à l’incapacité de la troïka de construire une société démocratique pacifique séparant les passions religieuses des impératifs séculiers de développement et de progrès social.
La démocratie représentative est incontournable mais la démocratie participative existe aussi elle-même le garant et la vigie des incapacités des appareils politico-institutionnels à se bouger et à permettre aux citoyens d’exprimer leurs demandes et revendications.
Si les deux formes de démocratie sont complémentaires, l’une ne peut remplacer l’autre.
Ceux qui critiquent le Nobel pour le sont en fait nostalgiques de la troïka.
Le Nobel ne récompense pas le gouvernement actuel et le consensus de Ennahdha et Nida car la politique tunisienne ne se résume pas à l’alliance entre ces deux partis.
Célébrer le prix Nobel, comme nous, associations, l’avons fait à Paris n’est pas l’expression d’une complaisance avec le gouvernement ou l’acquiescement de sa politique.
Le Nobel appartient aux principaux acteurs de la révolution: d’abord les jeunes martyrs et les blessés, et ceux qui ont cru dans leurs luttes et organisés les solidarités en Tunisie et en France pendant et avant cette révolution.
La lutte des tunisiennes et tunisiens a permis le départ de la Troïka, elle n’a prémuni la Tunisie de tous les dangers et de toutes réactions thermidoriennes, le Nobel n’est que la reconnaissance de cette lutte qui n’est pas finie car les taches et objectifs de la révolution ne sont pas fines et attendant ne boudons pas notre joie.
Tarek BEN HIBA
Militant associatif
liste de diffusion et d’information de Tarek BEN HIBA, conseiller régional Front de Gauche Ile-de-France, et militant associatif de l’immigration autonome et démocratique