La situation avant la révolution
Il existe un consensus sur le fait que les médias avant la révolution tunisienne étaient sous le contrôle du ré- gime de Ben Ali (1987-2011). La presse écrite était dominée par les journaux appartenant à l’État (« La Presse » et « Essahafa », et les organes du RCD, « Le Renouveau » et « El Horria »). Les journaux de l’opposition étaient marginalisés. Dans presse électronique, le régime contrôlait deux chaines de télévision (TV7 et Tunisie 21), et quatre radios nationales (Radio Nationale, Radio Tunis Chaîne Internationale, Radio Jeunes et Radio Culture) et cinq radios régionales (Monastir, Sfax, Le Kef, Gafsa et Tataouine).
Il n’y avait que deux chaînes de télévision privées autorisées à diffuser par satellite (Hannibal et Nessma) et cinq radios privées sur la bande FM (Radio Mosaïque (2003), Radio Jawhara (2005), Radio Zitouna (2007); Shems FM (2010), Express FM (2010)). Tous ces médias appartenaient aux proches du pouvoir et n’avaient aucune indépendance éditoriale. Parmi les radios privées, seule « Radio Zitouna », à vocation religieuse, bénéficiait d’une couverture nationale.
Le règne de Ben Ali était marqué par une absence quasi-totale d’un cadre légal et juridique harmonieux et unifié régissant l’information et la communication audiovisuelle. Aucune des législations ne fait mention du concept de « service public » dans le domaine de l’audiovisuel. La décision, à partir de 2003, d’ouvrir l’espace audiovisuel au secteur privé ne cherchait pas à briser le monopole de l’État sur le secteur de l’audiovisuel mais d’accorder, arbitrairement sous forme de privilèges, et dans l’opacité la plus totale, des licences et des autorisations de télédiffusion à des membres de la famille régnante, à des proches et à des amis fidèles du régime.
Malgré la situation de censure, des projets de radios ont vu le jour sur le web et des campagnes pour l’ouverture des ondes hertziennes ont été avancées. Radio six a commencé également en 2007 à diffuser sur l’Internet. Radio Kalima a commencé à émettre sur internet depuis 2008 et sur le satellite Hotbird depuis 2009. L’ouverture des ondes seulement vers des radios proches du régime, a été dénoncé par le syndicat tunisien des radios libres (STRL) crée lors de la tenue du sommet mondial de la société de l’information en Tunisie. Le STRL a dénoncé que l’octroi des licences de diffusion aux seuls membres de la famille du président et à ses proches et en particulier à « Shems FM », ne représentait pas une ouverture réelle, mais une atteinte à la liberté d’expression.
Le STRL a également appelé à la création d’une instance indépendante qui aura la charge d’attribuer les fréquences, sur la base d’un cahier des charges garantissant la transparence et l’égalité entre tous les tu- nisiens.
Le STRL a souligné aussi la nécessité d’accorder la priorité, lors de l’attribution des licences, aux profession- nels du métier en vue de consacrer la démocratie dans le pays.
Diagnostic et pistes d’action pour le développement des acteurs actuels et potentiels du secteur des médias de proximité en Tunisie 1
Après la chute de Ben Ali.
Après la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, les médias traditionnels, publics et privés, écrits et audiovisuels, se sont adaptés à la nouvelle situation et d’après les observateurs ils ont cherché à exprimer une plus grande diversité de points de vue.
Le gouvernement post Ben Ali a décidé de rebaptiser les deux chaînes de télévision publique «Wataniya 1» et «Wataniya 2» (Nationale 1 et Nationale 2) et remplacer leurs dirigeants. L’État a saisie les biens de la famille Ben Ali et placé sous son contrôle les radiodiffuseurs privées Shems FM et Radio Zitouna. De plus, le 19 février 2011, le gouvernement a annoncé une amnistie générale pour les personnes condamnées en vertu des lois répressives utilisées contre l’opposition politique, y compris le Code la presse de 1975 6. Le 2 mars 2011, le gouvernement a annoncé la mise en place de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC) pour engager des réformes du paysage médiatique, conformément aux normes et standards internationaux.
La « Haute Instance pour la Réalisation des Objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transi- tion démocratique » (HIROR), a été créée le 15 mars 2011. Il a été composé de représentants des partis politiques, des organisations de la société civile et du mouvement syndical prenant en charge le rôle de légis- lateur jusqu’aux élections à l’Assemblée nationale constituante (ANC) le 23 octobre 2011.
Les observateurs soulignent que c’est sous l’HIROR qui ont été promulgués les seuls textes de loi relatifs au secteur de l’information et de la culture depuis la révolution. Il s’agit, tout d’abord, du Décret-loi 2011-41 du 26 mai 2011 relatif au droit d’accès aux documents administratifs des organismes publics, tel que modifié par le Décret-loi 2011-54 du 11 juin 2011. Ensuite, c’est la promulgation du Décret-loi 2011-115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de presse, d’impression et d’édition; et, finalement le Décret-loi 2011-116 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle qui reconnait formellement l’existence du secteur des médias associatifs et décide la création d’une Haute Autorité Indépendante de la Communication Audio- visuelle (HAICA).
Le 28 juin 2011, l’INRIC a annoncé ses recommandations relatives à l’attribution des licences à 12 stations
de radio dont quatre dans la grande région de Tunis et huit dans le reste de la Tunisie. Ces radios n’ont eu de confirmation de leur pre-autorisation officielle qu’en mars 2012 qui est toujours provisoire. Ces radios sont: Radio Kalima, Radio 6, Kif FM et Ibtissama FM à Tunis. Oxygène FM à Bizerte, Cap FM à Nabeul, Sabra FM à Kairouan, Chaambi FM à Kasserine, Sawt el Manajem à Gafsa, Al Karama à Sidi Bouzid, Oasis FM à Gabès et Ulysse FM à Médenine.
Il faut dire que depuis les élections du 23 octobre 2011, gagnées par le parti islamiste « Ennahdha », le gou- vernement dit de la troïka, c’est caractérisé par la procrastination en matière de mise en œuvre des mesures concernant le cadre légal et règlementaire sur la liberté de la presse et le paysage médiatique.
En effet, jusqu’à maintenant seul le Décret-loi 2011-41 est pleinement en vigueur, selon une circulaire d’application du 5 mai 2012. Le Décret-loi 2011-115 attend toujours la nomination d’une commission in- dépendante ayant la responsabilité d’attribuer la carte nationale de journaliste professionnel. Le Décret loi 2011-116 attend toujours la nomination des membres de la HAICA sans laquelle les dispositions du Décret-loi ne peuvent être appliquées. Ces deux derniers textes, bien que déjà publiés au Journal Officiel depuis le 4 novembre 2011, sont toujours à l’étude d’une commission de l’ANC.
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Le rapport général de l’INRIC à déjà fait noter que depuis les élections du 23 octobre 2011, l’avancement de la réforme des médias s’est ralenti, des limitations à la liberté de la presse sont apparues et les dénonciations de répression sur les travailleurs des médias s’accumulent.
Les enjeux des radios de proximité
La question de l’accès citoyen aux médias de proximité est un défi important de la liberté d’expression et de la démocratisation de la Tunisie. L’absence d’un statut spécifique de la radio associative/communautaire est un des enjeux à relever car il est question du pluralisme du paysage médiatique, en particulier dans les régions qui ne sont pas bien desservies actuellement par la radio. Il y a plusieurs enjeux qui sont posés autant pour les nouvelles radios commerciales que pour les radios associatives.
Il faut dire, tout d’abord, que les nouvelles radios privées et associatives acceptées suite aux recommanda- tions de l’INRIC, travaillent toujours sans cahier des charges, c’est à dire sans qu’une réglementation en- cadrant le secteur ne soit mise en place.
D’ailleurs les nouvelles radios privés et les radios associatives/communautaires subissent les frais de l’Office Nationale des Télédiffusion (ONT) qui sont de l’ordre de 100 000 dinars par an.” L’ONT, en concertation
avec les autorités de tutelle, a pris l’initiative de faire bénéficier les nouvelles radios de la gratuité de diffusion jusqu’à fin 2011. Il a également réduit le coût de diffusions de 20% durant toute l’année 2012. Ceci ne résout pas cependant le problème et les coûts élevés pratiqués par l’ONT et son monopole rendent difficile la péren- nisation de ces nouveaux médias.
En plus de ça les radios doivent faire face à des problèmes d’accès aux équipements car il est très difficile d’importer du matériel et les procédures de douane sont extrêmement longues. Également il est question du financement car les banques ne veulent pas prêter de l’argent de par le risque d’insolvabilité. Il est nécessaire d’Instaurer des mécanismes de soutien à la pérennisation du secteur également au niveau de la formation des journalistes et de la formation sur place.
Il faut souligner également que l’État tunisien considère toutes les nouvelles radios comme des radios com- merciales, alors même que figure dans le décret 116 la radio associative et communautaire, que la mise en place de l’Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) permettra de reconnaître au niveau des licences spécifiques. En effet, l’application du décret 116 permettra la distinction entre chaque type de radio associative ou radio commerciale. Les radios associatives sans but lucratif ne devraient nor- malement pas payer les frais de l’ONT. Radio Six et «La voix des mines FM» ne peuvent pas payer les frais exorbitants exigés par l’ONT. Les radios associatives doivent avoir un statut particulier les exonérant de ce type de frais, ceci est vital pour leur pérennisation en tant que radios à intérêt social sans but lucratif.
Le diagnostic des radios de proximité
Le diagnostic des médias de proximité actuels et potentiels dont nous présentons les caractéristiques fonda- mentales vient répondre au constat que les appuis internationaux en Tunisie, ont débuté depuis janvier 2011 dans le domaine des médias et de la liberté d’expression pour se concentrer essentiellement sur le soutien à la réforme et au renforcement des médias du service public. Les médias associatifs locaux, les radios sur internet et des projets issus de la société civile ont bénéficié d’un appui modeste et ponctuel, sans stratégie pour renforcer le secteur dans sa globalité.
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Le diagnostic permet de voir l’important rôle que les radios de proximité, commerciales et associatives, sur le web ou au niveau de projets, peuvent jouer dans le processus de démocratisation en Tunisie. Il s’agit là d’un élément essentiel de la diversité, du pluralisme, de la démocratie, en tant que vecteur d’information et d’éducation populaire et vecteur de la liberté d’expression.
Le portrait que nous avons dressée permet de formuler l’hypothèse que les médias de la société civile, notam- ment les radios associatives en onde, d’écoute gratuite et accessible à tous en tout lieu peuvent effectivement assurer la couverture du territoire tunisien en information.
Il faut dire que nous avons confirmé lors de la mission que le service public de la radiodiffusion, en dépit de ses efforts, peut difficilement assurer le maillage territorial dans la radiodiffusion. La situation est actuelle- ment que les populations locales dans plusieurs régions de la Tunisie sont aujourd’hui sans information locale sérieuse, sans possibilité de s’exprimer, sans outil de communication sociale.
Il faut cependant souligner que le secteur des radios associatives et de proximité, même pour les nouvelles radios commerciales et en particulier pour les projets de radio web, est constitué d’acteurs relativement faibles en terme de structuration et de professionnalisation de leur organisation,
Malgré la faiblesse du secteur, qui fonctionne dans des conditions qui sont loin de l’idéal, la mission qui a par- couru la Tunisie a initié un processus de mutualisation en vue de leur représentation en tant qu’acteur à part entière pour la formulation d’un plaidoyer national pour le droit à la communication. Ce n’est qu’un début et il est proposé dans ce rapport des recommandations en mobilisation de ressources, en formation, en coordina- tion et en jumelage pour un plaidoyer efficace.
Le diagnostic axé sur les capacités réelles des équipes locales de production, sur leur capacité à mettre en œuvre une stratégie politique cohérente de plaidoyer, sur l’identification des acteurs et des objectifs de ren- forcement du secteur, permettent de poser les balises pour un renforcement et pérennisation du secteur sur la base de la maximisation des effets de la mobilisation des ressource des bailleurs et partenaires techniques. La mise sur pied d’un fonds de soutien s’avère dans cette perspective, un élément fondamental pour assurer la contribution des médias à la démocratisation de la Tunisie.
Plus précisément, le diagnostic permet d’’identifier les besoins professionnels du secteur des radios associa- tives et de proximités tunisiennes et d’identifier les pistes d’appui pour ces médias. Il permet également de voir leurs capacités de mutualisation politique en vue de proposer des stratégies de renforcement appropriées à ce secteur essentiel au pluralisme médiatique en Tunisie.
Le processus d’élaboration de ce diagnostic a été complexe et structurant. Il a permis non seulement de recueillir des informations mais également d’accompagner et d’impliquer l’ensemble des partenaires locaux du secteur, afin qu’ils s’approprient, selon un processus de concertation, ce diagnostic et qu’ils proposent des recommandations stratégiques pour le développement du secteur des radios de proximité.
Pour Télécharger le diagnostic complet : ICI