Après onze (11) ans de partenariat, l’ONG néerlandaise OXFAM Novib a décidé, le 22 mars dernier, de couper tout rapport partenarial avec l’association nigérienne Alternative Espaces Citoyens. Cette décision a été prise par la Directrice générale d’OXFAM Novib, Mme Farah Karimi, pour sanctionner un appel à chasser de son bureau le Président de la République du Niger qu’aurait lancé le Secrétaire général d’Alternative Espaces Citoyens à l’occasion d’une manifestation citoyenne tenue à Niamey le 21 décembre 2016. Dans un parfait anglais, la patronne d’OXFAM Novib à La Haye écrit : “lt is my understanding that during the gathering of Niger citizens you made a call for chasing the President of the Republic of Niger away from his office”.
Selon Mme Karimi, qui tient cette information d’une source qu’elle n’a pas jugé utile de révéler dans sa lettre, un tel appel n’est pas une simple opinion ; c’est un comportement déviant qu’elle doit absolument sanctionner de la façon la plus énergique pour bien montrer que l’organisation qu’elle dirige s’en démarque clairement. “Such a call is not acceptable to Oxfam Novib, that stands for upholding the democratic values as the only viable way of solving societal issues and finding meaningful solutions”, soutient-elle; non sans exprimer sa profonde indignation par cette belle formule : “A call for overthrowing the government or the President is deemed irreconcilable with Oxfam’s mandate and not something we expect to come from a partner with whom we have maintained a cordial relationship for over 8 years”.
Ainsi, en rompant toute relation de partenariat avec l’association Alternative Espaces Citoyens, la Directrice générale d’OXFAM Novib se pose en défenseure de la démocratie au Niger ; totalement sûre qu’il ne peut venir à l’esprit d’aucun démocrate, au Niger comme aux Pays-Bas et ailleurs, de condamner sa prise de position contre la déviance d’un partenaire qu’elle croyait acquis également à la cause de la démocratie. Le seul problème, c’est que Mme Farah Karimi ne s’est pas assurée de la véracité et de la solidité de cette accusation qui lui a été probablement soufflée à l’oreille, lors de sa visite à Niamey en février dernier, par le Ministre de l’intérieur, Mohamed Bazoum. Coutumier de telles accusations contre Alternative Espaces Citoyens et d’autres organisations de la société civile, dont l’engagement et l’activisme le dérangent particulièrement, ce dernier s’était déjà plaint auprès du Directeur d’OXFAM au Niger, le jour même de la manifestation du 21 décembre 2016.
Convaincue qu’un Ministre de la République ne peut pas raconter des histoires à une grande dame comme elle, qui dirige une des plus puissantes ONGs au monde, Mme Karimi n’a pas cherché à connaitre la version d’Alternative, ni pendant son séjour au Niger, ni après son retour à La Haye. Elle a considéré donc que ce qu’elle a entendu de la bouche d’une source aussi officielle n’a pas besoin d’être vérifié auprès du partenaire mis en cause ; car, chercher à vérifier ces allégations revient en quelque sorte à commettre un véritable crime de lèse-majesté à l’endroit des « autorités démocratiques » du Niger. En tout cas, on retiendra que la Directrice générale d’OXFAM Novib a préféré quitter Niamey sans rien souffler de toute cette histoire au partenaire de onze (11) ans, probablement pour ne pas avoir à entendre un démenti formel susceptible de l’embarrasser.
En effet, il a fallu attendre le 22 mars dernier pour que la patronne d’OXFAM Novib sorte son argument sorcier pour justifier une rupture dont elle avait probablement déjà formé l’idée dans le bureau du Ministre de l’intérieur nigérien ; c’est dire donc que pendant presque trois (3) semaines elle a dû certainement hésiter, essayant de voir s’il n’est pas possible de trouver un autre argument plus sorcier pour aller vers cette « rupture libératrice ». Ce jour là, c’est une lettre de réclamation de l’association Alternative Espaces Citoyens qui lui fournira une bonne raison de mettre fin à ses hésitations et tergiversations. Cette lettre est une irrévérence de plus de la part de cette organisation subversive, qui s’est crue en droit de protester contre les velléités d’OXFAM de lui dénier ses droits dans le cadre de deux projets communs, l’un financé par le Ministère néerlandais des Affaires Étrangères, et l’autre par un organisme lié à la Banque mondiale dénommé GPSA.
Ainsi, la rupture d’avec l’association Alternative Espaces Citoyens est devenue, à partir de ce jour-là, une affaire particulièrement intéressante aux yeux de Farah Karimi ; car, outre le fait de contenter le Ministre nigérien de l’Intérieur, cela lui permet aussi de trouver une habile porte de sortie concernant deux projets communs d’importance : d’abord, exclure Alternative de la mise en œuvre d’un programme dénommé Strategic Partnership-Conflits et fragilités, financé par le Ministère Néerlandais des Affaires étrangères et auquel elle a largement contribué depuis le début du processus de son élaboration jusqu’à sa révision quelques jours seulement avant l’annonce de la rupture; et ensuite, ne pas donner suite à la perspective de signature d’un contrat pour la mise en œuvre du projet « Strengtening the social contract in Niger, Budgets are more than money in money out », projet capital pour l’association dans le cadre de son travail d’analyse critique et de mobilisation citoyenne autour de l’allocation des ressources publiques au Niger.
Cependant, la Directrice générale d’OXFAM Novib s’est gardée, sans doute par mesure de précaution, de mettre fin au projet dénommé « Culture pour le changement, participation citoyenne des femmes et des jeunes », qui est l’unique initiative conjointe en cours de mise en œuvre; car, il s’agit là d’un projet pratiquement arrivé à son terme et qui est financé essentiellement par l’Union Européenne, un bailleur de fonds face auquel même la toute puissante OXFAM Novib ne peut se permettre de rompre un contrat sur des bases aussi fallacieuses. Le caractère fallacieux de la raison invoquée par la Directrice générale d’OXFAM Novib ne peut évidemment échapper à personne; mais, il est important de souligner avec force qu’à aucun moment, ni au cours de la manifestation du 21 décembre 2016, ni au cours d’aucun autre événement public ou privé, un appel au renversement du Président n’a été lancé ni par un responsable d’Alternative Espaces Citoyens, ni même par un quelconque membre de l’organisation.
Bien entendu, il n’est pas nécessaire d’insister ici sur le fait que l’association Alternative Espaces Citoyens, tout comme OXFAM Novib ou d’autres organisations de la société civile, est attachée aux principes et valeurs de la démocratie et de l’état de droit. Le combat de cette association, depuis toujours, s’est inscrit dans le cadre de la légalité; et jamais, même lorsqu’elle a été victime d’injustices diverses en raison de son combat pour un Niger plus juste, elle n’a cédé à la tentation de sortir de la voie démocratique et d’embrasser d’autres options. L’engagement d’Alternative en faveur de la démocratie n’est pas d’ailleurs méconnu d’OXFAM Novib; même si sa Directrice générale, Mme Farah Karimi, a gravement mis en doute l’esprit de responsabilité de l’association dans sa lettre de rupture. C’est d’ailleurs l’engagement, l’esprit critique et la combativité d’Alternative qui avaient guidé OXFAM Novib à tisser un partenariat avec cette organisation.
Le document « Analyse des opportunités et risques », élaboré en octobre 2006 par OXFAM, décrit en détails les qualités d’Alternative Espaces Citoyens, ainsi que les risques liés à un partenariat avec une organisation militante qui n’était guère appréciée par les autorités gouvernementales de l’époque; mais, à l’époque, Novib était très loin de ce que Farah Karimi veut en faire aujourd’hui, c’est-à-dire une organisation plus attentive aux sollicitations des autorités qu’aux luttes légitimes menées par ses partenaires. En d’autres temps, OXFAM Novib aurait certainement cherché à comprendre pourquoi des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Niamey, un jour de décembre 2016, à l’appel des organisations de la société civile; et eu égard aux points contenus dans la plate-forme revendicative de ces organisations, elle aurait au moins marqué sa surprise d’entendre une autorité présenter cette manifestation citoyenne comme une action anti-démocratique.
En tout cas, Alternative Espaces Citoyens sait faire, même dans ces circonstances tristes, la part des choses; elle sait que les positions défendues par Mme Karimi ne sont pas nécessairement celles de l’organisation qu’elle dirige et qui a toujours été à ses côtés. C’est le lieu de mentionner ici que plusieurs personnes au sein d’OXFAM Novib ont été surprises par la décision de rupture prise par la patronne; certaines ont été même profondément indignées par le caractère fallacieux des raisons qu’elle a invoquées. « Comment OXFAM Novib peut-elle indexer et mettre en danger ses propres partenaires dans le contexte d’un pays où il y a seulement quelques jours plusieurs personnes civiles croupissant depuis plus d’une année dans les prisons sous l’accusation d’un complot contre le Président de la République, n’ont pu recouvrer leur liberté que grâce à un non-lieu prononcé par un juge ? », s’est interrogé fort justement un ancien cadre de l’organisation.
C’est là une question qui mérite bien d’être posée, compte tenu du fait que des telles accusations ont souvent servi d’alibis pour emprisonner des acteurs de la société civile; comme ce fut le cas en mars 2005 au lendemain des manifestations contre la vie chère et en mai 2015 à la suite de la publication par Alternative d’un rapport dénonçant l’évacuation forcée des populations riveraines du lac Tchad. Entre 2001 et aujourd’hui, il est important de noter que le Secrétaire général de l’association Alternative Espaces Citoyens a fait plusieurs séjours en prison et autres lieux de détention sous diverses accusations; mais, jamais il n’a fait l’objet d’une quelconque condamnation par la justice nigérienne qui, à chaque fois, l’a remis en liberté lui permettant de poursuivre ses activités. En mai 2015, accusé par le Ministre de l’intérieur d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, en l’occurrence Boko Haram, il a été remis en liberté provisoire, après dix (10) jours de détention à la Cellule anti-terroriste à Niamey; même si le procureur a retenu contre lui, sans aucun élément solide, l’accusation d’atteinte à la défense nationale, un crime passible de la peine de mort selon le code pénal nigérien.
Il importe de souligner que cette cabale faisait suite à la publication par l’association Alternative Espaces Citoyens d’un rapport critique sur l’évacuation forcée des milliers de personnes vivant dans le lit du lac Tchad au Niger. Ce rapport de monitoring, qui dénonçait cette évacuation comme une violation majeure des droits humains, avait irrité certains milieux gouvernementaux nigériens; mais, personne au sein du gouvernement ou d’autres institutions n’a apporté le moindre élément indiquant que les informations contenues dans ce rapport étaient fausses ou tronquées. Le traitement injuste réservé à l’association Alternative Espaces Citoyens dans le cadre de cette affaire avait fait l’objet d’une vive condamnation tant au Niger qu’à l’extérieur du pays; et à Niamey, plusieurs milliers de personnes ont manifesté le 6 juin 2015 pour soutenir Alternative Espaces Citoyens, mais aussi le Mouvement pour une citoyenneté responsable (MPCR), dont le responsable avait été également arrêté suite à une prise de position sur le même sujet. C’est le lieu de rappeler qu’à l’époque OXFAM au Niger n’a pas failli à son devoir de solidarité à l’endroit d’Alternative Espaces Citoyens; car, le rapport pour lequel cette association était ainsi harcelée s’inscrivait dans le cadre d’un travail de veille citoyenne en période de conflits qu’elle soutenait dans la région de Diffa.
Quoi qu’il en soit, il importe de noter que si la Directrice générale d’OXFAM Novib, Mme Farah Karimi, a pu agir de cette façon, c’est sans doute parce qu’elle est très sûre qu’elle ne fait courir aucun risque ni à son organisation ni à sa propre personne. Le rapport de forces est clairement en sa faveur, puisque Alternative Espaces Citoyens a très peu de chance de se faire entendre. Certes, elle peut toujours décrier, sur tous les toits et dans toutes les instances, une décision inique et injuste; mais, elle n’a certainement pas les moyens de se payer les services d’un avocat en Europe, de se rendre aux Pays-Bas et de saisir le tribunal de La Haye, seul compétent pour arbitrer les conflits entre OXFAM Novib et ses partenaires. Le seul moyen en possession d’Alternative, et ce n’est pas rien, c’est la sympathie que nourrissent à son égard de nombreuses personnes au Niger et ailleurs qui savent que son travail, qui a été soutenu pendant onze (11) ans par OXFAM, a permis de faire bouger les lignes dans beaucoup de domaines.
Ce rapport de forces assez déséquilibré à certains égards, Farah Karimi en est parfaitement consciente; elle sait aussi très bien qu’il n’y a qu’une petite chance sur mille que l’opinion néerlandaise soit au courant de ses agissements. La seule chose qu’elle ignore (Dieu merci, elle ne sait pas tout et elle ne peut pas tout prévoir), c’est que l’association Alternative Espaces Citoyens peut judicieusement utiliser cette unique petite chance sur mille pour sonner l’alerte auprès de tous ceux qui, au sein et à l’extérieur d’OXFAM Novib, sont soucieux de la réputation de cette belle organisation et qui sont épris d’un sens de la justice. C’est cela l’objet de cet article qui, nous l’espérons, sera repris et traité par des confrères néerlandais; mais, il convient de préciser que cet article s’adresse surtout à tous ceux qui au Niger même se battent pour que leur pays ne sombre pas dans l’injustice. C’est-à-dire les milliers de personnes qui, le 21 décembre 2016, ont manifesté pacifiquement à Niamey contre la mauvaise gouvernance, la corruption et les violations des droits humains; des milliers de personnes qui ne veulent rien d’autre que de voir leur pays quitter le dernier rang mondial en matière de développement humain, et leur État assumer ses obligations en matière d’éducation, de santé, d’alimentation et d’emploi.
En conclusion, et pour ceux qui n’auront pas saisi toute la gravité de cette décision contre laquelle Alternative Espaces Citoyens se donnera les moyens de se battre jusqu’au bout, il n’est pas superflu de faire la comparaison avec une situation très courante au Niger, à savoir la répudiation, qui rend malheureuses de nombreuses femmes. La répudiation dans une vie de couple c’est une décision unilatérale et irrévocable d’un époux consistant à se séparer d’une femme avec laquelle il a vécu parfois pendant des longues années et avec laquelle il peut même avoir eu de nombreux enfants. La rupture décidée par Farah Karimi n’est plus ni moins qu’une répudiation, tant dans sa forme que dans son fond; car, il s’agit d’une décision unilatérale et irrévocable prise par une seule partie pour des motifs qui n’ont fait l’objet d’aucune discussion préalable avec l’autre partie. Le partenaire, congédié unilatéralement, perd tous ses droits sur tous les projets communs; mais, Dieu merci, OXFAM Novib n’a pas au Niger qualité et pouvoir pour jeter en prison ou dissoudre des partenaires mal-pensants.
A.T. Moussa Tchangari
Secrétaire général
Alternative Espaces Citoyens