Le grand paradoxe de la Révolution tunisienne est la persistance, voire l’aggravation des inégalités sociales et des disparités régionales alors que la jeunesse des régions de l’intérieur qui a déclenché l’insurrection s’est levée pour l’emploi, le développement, la dignité et la liberté.
Six ans après janvier 2011, les gouvernements successifs ne cessent de reproduire les vieilles recettes économiques et sociales du régime de Ben Ali avec les conséquences que les Tunisien.nes vivent au quotidien : une crise chronique, toujours plus de chômage et le sentiment généralisé d’exclusion et de marginalisation.
L’impuissance de l’État face à tous ces défis a entraîné la recrudescence des mouvements sociaux : les « diplômés chômeurs », les employés précaires, les ouvriers agricoles, les couches marginalisées des quartiers populaires se mobilisent un peu partout dans les régions de l’intérieur, recourant à diverses modalités de lutte. Ces mouvements tentent de coordonner leurs actions afin de parler d’une seule voix et de contraindre le pouvoir à les écouter et l’amener à abandonner la logique sécuritaire et le harcèlement judiciaire contre les jeunes manifestants. Les employés précaires (travaux d’intérêt public dit mécanisme 16), las des promesses de règlement de leur situation, qu’aucun gouvernement n’a tenues, ont décidé à travers leurs coordinations d’entamer une série d’actions dont un sit in national le 9 février devant tous les gouvernorats. Le collectif des coordinations a également annoncé une grève nationale et un sit in à la Casbah le 9 mars 2017.
Les diplômés au chômage qui représentent plus du tiers des chômeurs en Tunisie, dont une grande partie dans les régions intérieures, attendent toujours
l’application des articles de la Constitution de 2014 sur le droit à l’emploi et les dispositifs prioritaires prévus à cet effet. Ils ne cessent de se mobiliser à Sidi Bouzid, à Gafsa, à Kairouan, à Kasserine, à Tunis, au Kef et ailleurs. Ainsi, à Meknassi, des diplômés qui chôment depuis dix ans ont déclenché le sit in « Harimna », mais leurs manifestations quotidiennes n’ont eu pour toute réponse que la réaction brutale des autorités et des dizaines de blessés et d’arrestations parmi les manifestants.
S’agissant de la palmeraie de Jemna, elle constitue une expérience prometteuse d’économie solidaire et ouvre un horizon nouveau pour l’emploi et l’exercice de la démocratie locale à contre courant des mœurs bureaucratiques et de la corruption qui gangrène le secteur public. Rappelons qu’au moment de l’insurrection révolutionnaire, alors que les concessionnaires qui exploitaient la palmeraie ont pris la fuite, une association de bénévoles a repris les choses en main. L’Association de sauvegarde de l’oasis de Jemna a très vite réalisé des résultats probants : de 7 à 133 personnes bénéficiant, cette fois-ci, d’une couverture sociale ; des acquisitions de matériel agricole ; des équipements hospitaliers ; l’aménagement de l’école primaire, la construction d’une nouvelle salle de sport ; le financement d’un centre pour enfants handicapés… Le rendement de l’oasis a plus que décuplé et la plus-value a ainsi bénéficié à tout le village. Pourtant, le gouvernement Chahed a décidé de passer outre et de mettre la main sur la production de dattes et empêché l’association de la mettre en vente. Jemna est une leçon de chose : comment entraver une réussite sociale et économique.
Six ans après la révolution, le fossé se creuse entre des gouvernements incapables de proposer autre chose que les « solutions » libérales dont l’échec est avéré depuis les années Ben Ali, qui recourent de plus en plus aux moyens sécuritaires et judiciaires ; et la jeunesse des régions déshéritées qui refuse de renoncer aux mots d’ordre de la révolution et retrouve le chemin de la mobilisation sociale légitime et pacifique pour faire aboutir ses droits.
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