Le nouveau ministre de la Justice de Tunisie devrait faire en sorte que Sami Fehri, directeur de la chaîne de télévision privée Attounissia, soit libéré immédiatement.
Le 5 avril 2013, la Cour de cassation, la plus haute juridiction du pays, a cassé sa mise en examen et son ordre de détention, et a jugé que son maintien en détention était illégal. La cour avait déjà cassé l’ordre de détention à deux reprises auparavant, le 28 novembre et le 5 décembre 2012, mais les responsables avaient refusé de le libérer. Les décisions précédentes renvoyaient l’affaire devant la chambre d’accusation de la Cour d’appel pour qu’elle soit examinée par un nouveau panel de juges.
« Que faut-il donc pour libérer quelqu’un de prison si les dirigeants continuent d’ignorer les décisions de mise en liberté émises par la plus haute juridiction du pays ? », s’est interrogé Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « En gardant Sami Fehri sous les verrous, les autorités font preuve d’un total mépris de la loi ».
La décision de la Cour de cassation devrait se traduire par la libération immédiate de Fehri, puisqu’elle a confirmé que les autorités n’avaient plus aucune base légale pour le détenir, a déclaré Human Rights Watch. Pourtant, pour la troisième fois, le ministère public a refusé de mettre en œuvre ces décisions, affirmant que le pouvoir de libérer Fehri reposait entre les mains d’un tribunal d’instance inférieure. Or d’après le Code de procédure pénale, le ministère public est chargé de mettre en application les décisions de la Cour.
Fehri est accusé de détournement de fonds. Il clame toutefois que la vraie raison de son arrestation est une émission satirique diffusée sur sa chaîne et qui se moquait des hommes politiques.
Dans le jugement du 5 avril, la Cour a déclaré : « Détenir Fehri en vertu de l’ancien ordre de détention, et en dépit du (…) jugement qui le casse, est une atteinte à ses droits ainsi qu’une violation de son intégrité corporelle et de son droit à un procès équitable dans le respect des procédures légales. En outre, sa détention est dépourvue de toute base légale ».
Le 28 novembre, date de la première décision de la Cour de cassation, le procureur chargé de l’affaire de Fehri auprès de cette cour avait émis un mandat ordonnant aux autorités carcérales de le libérer. Mais le procureur avait par la suite retiré cet ordre au motif que le jugement de la Cour de cassation n’englobait pas l’ordre de détention.
Les avocats de Fehri avaient alors demandé à la Cour de cassation de clarifier son jugement. Le 5 décembre, la Cour de cassation avait émis une décision confirmant que le mandat de dépôt faisait bien partie du jugement de cassation. Pourtant, lorsque les avocats de Fehri ont demandé au procureur de la Cour de cassation de réémettre l’ordonnance de libération, il a refusé sous prétexte que l’ordre devait provenir de la chambre d’accusation, étant donné que l’affaire avait été renvoyée devant elle. Quand les avocats de Fehri ont demandé à la chambre d’accusation d’émettre l’ordonnance de libération, la chambre a émis une décision, datée du 6 décembre, qui déclarait qu’elle n’en avait pas le pouvoir et que c’était une prérogative de la Cour de cassation.
Les avocats ont alors déposé une nouvelle requête de libération de leur client auprès de la chambre d’accusation. Mais le 3 janvier, la chambre d’accusation a émis une nouvelle décision où elle renouvelait la détention de Fehri ainsi que de cinq anciens directeurs de la chaîne de télévision nationale inculpés dans la même affaire.
La Cour de cassation a examiné cette nouvelle mise en examen et l’a cassée le 5 avril. En dépit de la formulation sans équivoque de ce jugement, le procureur de la Cour de cassation refuse toujours d’émettre une ordonnance pour libérer Sami Fehri.
Le ministre de la Justice Nadhir Ben Ammou, en fonction depuis mars, a déclaré à l’avocat de Fehri qu’il n’avait pas le pouvoir d’ordonner la libération de Fehri ni d’exercer de pression sur le procureur pour qu’il le fasse. Pourtant, l’article 22 du Code de procédure pénale place le ministère public sous l’autorité directe du ministre de la Justice.
Les avocats de Fehri ont déposé plainte au pénal contre le procureur de la Cour de cassation pour détention arbitraire, mais le tribunal de première instance de Tunis n’a pas encore statué sur l’affaire.
Au départ, le 24 août, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Tunis avait mis Sami Fehri en examen pour contribution aux pertes financières de l’Établissement de la télévision tunisienne, géré par l’État, suite aux malversations d’une société de production télévisuelle indépendante, Cactus Production. À l’époque de la présidence de Zine El Abidine Ben Ali, la société était contrôlée par Fehri et par Belhassen Trabelsi, le beau-frère de Ben Ali. Un juge d’instruction avait ouvert l’enquête en juin 2011. Fehri est détenu depuis le 28 août à la prison de Mornaguia, près de Tunis.
Fehri a été inculpé de détournement de fonds publics en vertu de l’article 96 du code pénal, qui prévoit jusqu’à dix ans de prison pour tout fonctionnaire public qui use de sa qualité pour se procurer, ou procurer à un tiers, un avantage injustifié. Il a été inculpé de « complicité » tandis que les cinq anciens directeurs de la télévision nationale étaient mis en examen en tant qu’auteurs principaux du délit.
La mise en examen et l’arrestation de Fehri ont suivi de peu la diffusion par la chaîne Attounissia de plusieurs épisodes d’une émission nommée La Logique politique, qui mettait en scène des marionnettes caricaturant les principales personnalités politiques nationales. Leurs cibles étaient notamment le président Moncef Marzouki, le Premier ministre de l’époque, Hamadi Jebali, et Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste au pouvoir Ennahda.
D’après la Déclaration universelle des droits de l’homme, nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou emprisonné. Or, la détention est arbitraire si elle ne repose pas sur une base légale.
« Le ministre de la Justice devrait défendre le principe d’indépendance de la justice en garantissant que la décision de la plus haute juridiction du pays soit respectée », a conclu Eric Goldstein. « Voilà maintenant plus de quatre mois que Sami Fehri est en prison depuis que la Cour de cassation a ordonné qu’il soit mis en liberté ».
Source : http://www.hrw.org/