Rabat, le 4 octobre 2016
Le vendredi 9 septembre dernier, le Ministère chargé des Marocains Résidant à l’Étranger et des Affaires de la Migration (MCMREAM) conviait des représentants politiques et des institutions publiques ainsi que des membres de la société civile à faire le bilan des trois premières années d’implémentation de la « Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile » (SNIA), à Rabat. A cette occasion, les autorités ont dressé un état des lieux très positif, tout en signalant qu’elles étaient conscientes du travail qu’il restait à achever.
Si de réelles avancées ont été observées au cours de ces trois années, de nombreux constats ternissent les progrès réalisés en faveur des migrants au Maroc. Parmi ceux-ci, des obstacles quant à la mise en œuvre effective de cette politique d’intégration, mais aussi et surtout la poursuite de pratiques arbitraires et violentes dans les zones frontalières du pays où la situation humanitaire des migrants reste alarmante.
Preuve en est l’extrême violence qui aurait une nouvelle fois été utilisée par les forces de l’ordre à l’encontre de personnes ayant tenté de franchir les barrières de Ceuta au lendemain de ce grand séminaire. D’après plusieurs sources1, la situation sur place a été dramatique, une fois de plus. Environ 100 personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles au moins une vingtaine de mineurs dont le plus jeune avait 13 ans. Plus de la moitié des personnes ont été blessées, à différents niveaux de gravité, du fait de la violence des forces auxiliaires marocaines qui n’auraient pas hésité pas à utiliser des gourdins en bois et des pierres pour dissuader les candidats à l’immigration vers L’Europe. Certaines ont ainsi dû être hospitalisées pour des fractures graves, voire même pour des amputations. La majorité d’entre elles a ensuite été déplacée de force par bus vers le sud du pays.
Cet événement, loin d’être isolé, assombrit gravement le bilan de la nouvelle politique migratoire marocaine. En s’adonnant à une telle répression, hors de tout cadre légal et en toute impunité, les autorités marocaines bafouent le respect des droits humains, tout comme les autorités espagnoles en s’adonnant aux dénommés refoulements à chaud. La Plateforme Nationale Protection Migrants (PNPM) dénonce cette violence sécuritaire qui foule aux pieds la dignité humaine au nom de la protection des frontières de l’Union européenne.
Fin juillet 2016, la PNPM avait déjà alerté le Chef de Gouvernement et le Wali de la Région Tanger-Tétouan-Al Hoceima sur la poursuite des exactions au niveau de la zone Tanger-Ceuta (cf. témoignages en annexe) et de l’impunité les entourant. Les organisations signataires de ces courriers demandaient alors aux autorités d’éradiquer l’usage excessif de la violence et les pratiques arbitraires par les agents des forces de l’ordre chargés de la gestion opérationnelle des migrations. Elles réclamaient aussi que des enquêtes judiciaires soient menées concernant les cas de décès ayant eu lieu à l’occasion d’opérations de sécurisation des frontières, notamment lorsque des témoignages mettent en question la responsabilité des forces de l’ordre. Du fait de l’absence de réaction à ces courriers et du silence assourdissant du Ministère chargé des Affaires de la Migration lors de son bilan, mais surtout de la persistance des pratiques violentes et arbitraires dans la région mentionnée ainsi que dans celle de Nador, la PNPM a décidé de publier ce communiqué.
En effet, la Plateforme Nationale Protection Migrants est très inquiète de cette situation et demande aux Ministères compétents, le Ministère de l’Intérieur et le Ministère chargé des Affaires de la Migration, d’intégrer de façon immédiate la cessation de ces pratiques à leur agenda politique. Ce déni systématique des droits et de la dignité des personnes en mobilité entre en totale contradiction avec le principe d’une politique « humaniste » d’immigration et d’asile promue par le Maroc depuis trois ans et plébiscitée dans le document-bilan de la SNIA du MCMREAM.
Pour plus d’informations, veuillez contacter :
coordination.pnpm@gmail.com
ANNEXES – Extraits de témoignages
Extrait n°1 : témoignage sur la tentative de passage par les barrières au niveau de Sebta du 8 juillet 2016 :
« Les forces auxiliaires étaient munis de longs gourdins en bois, certains avaient des matraques, d’autres ont utilisé de longues barres de fer et frappaient les gens avec. Il y a eu beaucoup de têtes ouvertes ce jour. (…) Ils frappent sur nous comme si on était des animaux. On se retrouve avec les pieds cassés, les têtes percées, ça c’est toujours. »
Extrait n°2 : témoignage sur la tentative de passage par les barrières au niveau de Sebta du 8 juillet 2016
« Des personnes ont plongé dans l’eau pour échapper aux forces auxiliaires. Certains ne savaient pas nager, les forces auxiliaires leur lançaient des pierres au lieu de les sauver.»
Extrait n°3 : témoignage sur la tentative de passage par les barrières au niveau de Sebta du 8 juillet 2016
« Ce jour aux barrières, il y avait des très jeunes, il y avait le petit Camerounais, on l’appelle Bambino, il n’a pas même 15ans.»
Extrait n°4 : témoignage sur un coup de machette reçu lors d’une arrestation sur les côtes de Tanger dans la nuit du lundi 11 au mardi 12 juillet 2016.
« Le militaire m’a dit ‘sors sors’, il me menaçait avec une machette, je me suis alors levé et je me suis rendu. Il m’a dit ‘avance’, j’ai alors commencé à marcher devant lui, les mains en l’air. Pendant que je marchais, le militaire derrière moi a transpercé mon dos avec sa machette. (…) Arrivés à la base militaire, ils m’ont isolé des autres, ils avaient peur que je meure devant eux, comme je perdais beaucoup de sang. Alors ils ont emmené les dix autres dans une voiture et moi ils m’ont mis dans une petite Mercedes noire. Ils me disaient ‘tu ne dis pas que ce sont des militaires qui t’ont fait ça’, je sentais qu’ils étaient effrayés de ça. Ils m’ont laissé dans la ville de Tanger, à 100m de l’hôpital Mohammed V.»